La fin d’une enquête doit signifier le début d’une étude plus large sur les relations au travail et l’organisation du travail dans une organisation donnée, afin d’agir sur les faits mais aussi sur les ressentis.
Les directions des ressources humaines sont confrontées à nombre de situations complexes. En particulier dans le cas de signalements de faits de harcèlement moral ou sexuel. Nos interventions récentes invitent à penser que ces signalements sont à la hausse. Ces situations exposent les équipes RH à la mise en place de plusieurs mesures, de la mise en protection des personnes, d’une enquête, puis d’accompagnement. Cette dernière étape est en effet clé quand encore souvent les employeurs considèrent que l’instruction de l’enquête va clore la procédure mais aussi, en quelque sorte, le débat. Pourtant s’ouvre une nouvelle étape, selon nous déterminante. En effet, dans bien des cas, l’enquête ne révèle pas de faits constitutifs de harcèlement moral et/ou sexuel mais des conditions de travail dégradées, sur lesquelles il convient d’agir post-enquête. Pour accompagner la DRH, nous formulons plusieurs propositions pour appréhender, identifier les dysfonctionnements de l’organisation du travail et venir renforcer le dispositif de prévention des risques de l’entreprise.
En cas de faits de harcèlement avérés, des mesures de sanction et de protection sont nécessaires
Si l’enquête conclut à l’existence de harcèlement ou de comportements inappropriés méritant des sanctions, l’employeur doit prendre des mesures de sanction (de la personne harceleuse) et de protection (de la victime). Au-delà de l’obligation légale de signalement aux autorités (Procureur de la République) en cas de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, l’employeur doit décider de la sanction disciplinaire qui s’impose (licenciement pour faute grave, avertissement, etc.).« L’employeur se retrouve ainsi bien souvent dans une position compliquée, tiraillé entre tolérance zéro et sanction hâtive »L’employeur se retrouve ainsi bien souvent dans une position compliquée, tiraillé entre la volonté d’affirmer une posture de tolérance zéro vis-à-vis des comportements déviants à l’intérieur de l’entreprise, et, de l’autre côté, l’inquiétude de sanctionner trop sévèrement, trop vite. En cas de comportements inappropriés, il convient a minima d’envisager un « contrat de progrès » à signer avec le N+1 et la DRH pour fixer des objectifs précis dans les changements de comportements attendus. S’agissant de la victime avérée, il est recommandé de mettre en place une protection fonctionnelle. La victime avérée – mais aussi la victime présumée, doit également faire l’objet d’un accompagnement visant à assurer qu’elle retrouve des conditions de travail normales et que les collègues éventuellement « solidaires » de la personne accusée ne lui nuisent pas. Plusieurs entretiens avec la victime peuvent être organisés par la DRH suite à l’enquête pour savoir si tout se passe bien avec ses collègues.
Quelle que soit l’issue de l’enquête, l’importance de restaurer le collectif et les relations professionnelles
La gestion de l’après-enquête s’en tient souvent à de la sanction, voire à de la protection. Or, quelle que soit l’issue de l’enquête, elle fait quasiment systématiquement office d’une véritable déflagration en interne, dont les relations professionnelles ne sortent pas indemnes. Ainsi, au-delà de la sanction/protection, agir pour restaurer le collectif et des relations professionnelles est bien souvent indispensable.« Quelle que soit l’issue de l’enquête, agir pour restaurer le collectif de travail est indispensable »Et ceci même lorsque l’enquête ne révèle pas de faits constitutifs de harcèlement : comment continuer à faire travailler ensemble des individus qui ont accusé et ont été accusés… ou plus simplement qui ont pris parti ? A l’issue de l’enquête, l’employeur doit veiller à ce que le collectif de travail puisse à nouveau travailler ensemble, autour d’un nouveau pacte collectif. La médiation – collective et individuelle – peut constituer une piste pour rétablir des formes de dialogue et définir un nouveau contrat dans les relations professionnelles avec des engagements réciproques. A noter qu’en cas de harcèlement sexuel avéré ou de violences et agressions sexuelles, une norme européenne interdit le recours à des modes alternatifs de résolution des conflits, y compris la médiation et la conciliation, entre la personne harcelée et la personne harceleuse (1).
Le signalement de harcèlement, signe d’un dysfonctionnement au sein de l’entreprise ?
Après l’enquête, il s’agit également de comprendre comment une situation avérée, mais aussi une situation vécue de harcèlement, a pu devenir une réalité au sein de l’organisation. Souvent, l’angle sous lequel ces situations sont traitées est celui des comportements et logiques individuelles.Sortir des logiques individuellesNotre conviction, chez Plein Sens, est que ces conflits trouvent leur origine dans l’organisation du travail et les dynamiques des collectifs de travail. Ainsi, lorsque nous intervenons pour enquête pour harcèlement, au-delà de la qualification des faits, nous cherchons à identifier les déterminants du travail qui ont conduit à la réalisation possible d’une situation, avérée ou vécue, de harcèlement ou d’agression sexuelle. L’enquête doit servir à analyser les causes et à trouver des moyens d’agir sur ces causes. Même lorsque l’enquête ne conclut pas à l’existence de faits de harcèlement, il convient de s’interroger, car un sentiment vécu de harcèlement est aussi le signe d’un dysfonctionnement au sein de l’entreprise. Qu’est-ce qui a pu conduire à ce sentiment vécu de harcèlement ? De quoi est-ce révélateur ? On observe notamment, très souvent, des formes d’exercice de l’autorité inappropriées, de management maladroit (un peu autoritaire et/ou un peu familier), couplées à un sexisme ordinaire. D’autres facteurs peuvent à être à l’origine du sentiment vécu de harcèlement : frustrations sur le poste de travail, changements organisationnels mal vécus, formes de conflits entre personnes qui dégénèrent, …
Agir sur les ressentis autant que sur les faits
Trop souvent, lorsque les faits sont minces (ou insuffisants pour qualifier une situation de harcèlement), la tendance est à l’éloignement des parties. On constate les désaccords de perception. On conclut à l’entente impossible et on déplace (quand c’est possible) les individus. Hélas, les causes du conflit ne sont pas analysées et traitées sur le fond. Elles laissent généralement un goût d’amertume à tous les protagonistes.Eviter que les salariés vivent mal les sorties d’enquêteIl est pourtant indispensable d’éviter que les salariés (les présumées victimes comme les accusés) ne vivent mal les sorties d’enquête. Tantôt ils se sentent incompris, humiliés tantôt ils se sentent diffamés. Ces expériences nourrissent un ressentiment qui va au-delà de l’entreprise elle-même. Le sentiment d’être une victime, non protégée et à la merci des injustices. Réussir une enquête c’est donc révéler des faits et les distinguer des ressentis mais c’est aussi reconnaître les ressentis, reconnaître qu’ils ne sont pas simplement le produit des psychés individuelles mais aussi le produit de relations conflictuelles au travail ou dysfonctionnements organisationnels dont il faut analyser les causes. La fin d’une enquête doit signifier le début d’une étude plus large sur les relations au travail et l’organisation du travail dans une organisation donnée, afin d’agir sur les faits mais aussi sur les ressentis.
L’enquête pour harcèlement : une opportunité d’interroger et renforcer son dispositif de prévention
Enfin, l’enquête doit être appréhendée comme une opportunité de mettre à l’épreuve le dispositif de prévention du harcèlement moral et sexuel et des agissements sexistes de l’entreprise. En matière de prévention secondaire, les salariés ont-ils bénéficié de formations leur apprenant à déceler ces situations et y faire face ? Un rappel est peut-être nécessaire. En matière de prévention primaire, au-delà de l’indispensable document unique d’évaluation des risques professionnels et du pilotage des actions, une mesure régulière du climat social peut être utile pour prévenir ce risque (à travers un baromètre, par exemple). Enfin, c’est aussi l’occasion d’interroger et renforcer, le cas échéant, le dispositif de signalement des cas de harcèlement : les référents harcèlement sont-ils bien connus au sein de l’entreprise ? Existe-t-il une instance type cellule de veille des risques avec un processus de traitement des signalements et des résultats de l’enquête bien défini ?Exemples de mesures qui peuvent être prises en matière de prévention :
• désigner et former des référents en matière de lutte contre le harcèlement, les conduites sexistes et attitudes discriminantes ; • créer et faire la publicité d’une cellule d’écoute par des référents harcèlement ; • informer les salariés sur la thématique du harcèlement moral et sexuel par tous les médias possibles (affichage dans les locaux, sur le site intranet de l’entreprise, dans le règlement intérieur) ; • sensibiliser les salariés et les managers par de la formation en ligne (webinars) et en présentiel (plus ciblée sur des situations à risque préalablement repérées) en favorisant les mises en situation ; • accompagner le développement d’outils managériaux et de méthodes managériales prévenant le risque « d’autoritarisme ou sexiste » et favoriser l’autonomie et la responsabilité ; encourager le co-design et l’échange de pratiques entre managers ; • évaluer les risques de harcèlement et d’agissement sexiste par des baromètres de climat social.(1) Article 48 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique dite convention d’Istanbul, entrée en vigueur en France le 01/11/14.
Cet article a également fait l’objet d’une publication sur le site d’information spécialisé actuEL-RH le lundi 20 septembre 2021 dans le cadre d’un partenariat.
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