Rencontres

« Chausser les lunettes du genre »

pour penser l’égalité en matière de santé au travail. Rencontre avec Florence Chappert, spécialiste des sujets égalité femmes-hommes à l'Anact

Plein Sens s’intéresse à l’impact du travail et de ses organisations sur les conditions de travail des femmes et des hommes aux côtés de Florence Chappert, référente des questions d’égalité, santé et conditions de travail des femmes et des hommes à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Comment l’organisation du travail génère-t-elle des impacts différenciés selon les sexes ? Quels sont les types de risques professionnels les plus fréquents pour les femmes et pour les hommes qui en découlent ? Comment accompagner les organisations dans des démarches de prévention plus attentives aux singularités liées au genre ? En quoi le prisme du genre, entendu comme la prise en compte des situations de travail et de vie différenciées des femmes et des hommes, nous aide-t-il à mieux décrypter les organisations ?  Éléments de réponse.

Depuis quand le genre fait-il l’objet de travaux et de recherches au sein de l’Anact ?

Florence Chappert : La question de l’égalité des femmes et des hommes au travail a commencé à se poser à la fin des années 2000. Jusque-là, nous nous intéressions à la santé au travail et nous avions rencontré des demandes autour de la mixité et les conditions d’introduction de femmes dans des métiers dits « d’hommes ». Progressivement, les questions de santé nous ont poussé vers l’égalité. Nous avons fait le lien entre l’absentéisme, les troubles musculo-squelettiques, les risques psychosociaux et le genre.

« La question de l’égalité des femmes et des hommes au travail a commencé à se poser à la fin des années 2000. »

Que dit la réglementation à ce sujet ?

Depuis 2014 et la montée en puissance des sujets de QVT (Qualité de vie au travail) et d’égalité professionnelle, les entreprises doivent utiliser des indicateurs sexués de santé et de sécurité au travail. La modernisation du système de santé exige de la CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie) et de la médecine du travail de produire des données sexuées. Depuis 2018, l’Index de l’égalité professionnelle permet aux entreprises de mesurer les écarts de rémunération ou de parcours entre les femmes et les hommes.
Enfin, le COCT (Conseil d’orientation des conditions de travail) s’est prononcé pour intégrer les impacts différenciés selon les sexes et prendre en compte la singularité hommes femmes dans l’évaluation des risques, comme le prévoit la loi.

Qu’observez-vous du côté des entreprises ?

« Les contraintes sont fortes pour les entreprises sur le sujet de l’égalité femmes-hommes. Plus que sur la qualité de vie au travail. »

Les contraintes sont fortes en matière d’égalité pour les entreprises, plus que sur les questions de QVT d’ailleurs. Par exemple, en matière de prévention du sexisme au travail, la responsabilité juridique du dirigeant est engagée. Le risque de violences sexistes et sexuelles doit figurer au document unique et dans le règlement intérieur. La sensibilisation à l’égalité est importante depuis plus de 15 ans. Pour autant, il y a toujours peu d’appétence des entreprises. Il règne trop souvent un sentiment d’impuissance à réduire les inégalités..

« Le nombre d’accidents du travail est en hausse chez les femmes quand celui chez les hommes est en baisse constante depuis 15 ans. »

Les femmes sont-elles plus exposées à des facteurs de risques professionnels ?

Oui, les chiffres montrent que les arrêts de travail sont 30 à 40% supérieurs pour les femmes que pour les hommes. Et le congé maladie avant maternité n’explique pas tout. Parmi les raisons, on retrouve les conditions de travail dont la pénibilité est invisibilisée, les troubles musculo-squelettiques (TMS) induits par des postes de travail adaptés aux morphologies d’hommes et non de femmes, les phénomènes d’usure professionnelle liée au fait de rester dans les mêmes postes longtemps.

En revanche, la présence d’enfants en bas âge intervient très peu dans l’absentéisme des parents sauf en situation monoparentale.

Le nombre d’accidents du travail est en augmentation chez les femmes. Les taux sont particulièrement élevés dans le secteur du commerce non-alimentaire, les activités de service : la banque, l’assurance, la santé, le nettoyage. Au contraire, ce chiffre est en baisse constante depuis 15 ans chez les hommes. Bien que le nombre d’accidents du travail reste deux fois plus élevé que chez les femmes.

La crise sanitaire a-t-elle accentué les écarts de conditions de travail selon les sexes ?

La Covid-19 a mis en lumière les différences de conditions de vie entre les hommes et les femmes. Des études notamment celles réalisées par la Dares montrent l’intensification du travail dans les secteurs en présentiel du commerce et du social, qui sont à dominante féminine. Quant au télétravail, on constate, parmi les facteurs de risques psychosociaux, du travail empêché, l’absence d’espace de travail dédié, la difficulté à concilier les temps professionnels et personnels… Les femmes font partie des 10% de salariés qui ont connu le plus de dégradations dans leurs conditions de travail.

Comment les entreprises peuvent-elles se saisir de ces données chiffrées ?

Ces chiffres sont à manier avec précaution. L’objectif n’est pas de renforcer le stéréotype de la femme fragile ni de lire le genre comme une cause. Cela n’apporterait pas grand-chose. Ils mettent en exergue des inégalités et des différences. L’égalité en matière de santé au travail ne vise pas un compte juste. Mais ces données démontrent que les femmes sont plus susceptibles d’être cantonnées à des postes durs et pénibles, d’avoir des parcours hachés et des facteurs de pénibilité qui demeurent avec le temps.

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