Rencontres

La négociation d’un accord de performance collective

des exigences supplémentaires en matière de loyauté et de transparence

Depuis 2017, la signature d’un Accord de performance collective (APC) permet à l’employeur de modifier certaines dispositions importantes du contrat de travail. Il est souvent présenté par ses concepteurs comme un pacte « gagnant-gagnant » en vue de répondre avec souplesse aux nécessités d’adaptation des entreprises et de préserver l‘emploi. Dans les faits, les conditions de l’élaboration de ces accords posent plusieurs difficultés et les acteurs de ces négociations regrettent l’absence de loyauté. Les APC ne posent-ils pas des exigences supplémentaires en matière de conduite de la négociation ? Éléments de réponse avec Georges Meyer, co-fondateur du cabinet d’avocats Delgado & Meyer Associés (Lyon), spécialisé en droit social, conseil et contentieux avec une expertise particulière en matière de négociation collective et de restructurations, aux côtés des représentants du personnel et organisations syndicales et Christian Thuderoz, professeur honoraire de sociologie, spécialiste de la négociation sociale

Pourquoi la loyauté est-elle une notion si importante quand l’entreprise propose la signature un APC ?

Georges Meyer : C’est une question fondamentale car les ordonnances Macron placent l’accord d’entreprise au centre de la construction juridique. La négociation peut ainsi prévoir des règles différentes et moins favorables que celles prévues dans la convention de branche dans de nombreux domaines. L ’APC a en plus la faculté redoutable de modifier le contrat de travail : baisse de salaire, plus de mobilité, davantage de flexibilité… L’APC peut réduire les droits du salarié. La loyauté me semble donc essentielle dans ce type de négociation.

« La loyauté est une question fondamentale dans la négociation d’un APC »

Quels sont les critères pour dire qu’une négociation est loyale ?

Georges Meyer : Pour qu’une négociation soit loyale, dans le cadre de l’entreprise, il faut savoir et partager deux choses. Tout d’abord : de quoi discute-t-on ? Je vois de nombreuses situations où la négociation s’engage sans que les représentants du personnel et/ou syndicaux ne soient au courant qu’elle s’inscrit dans le cadre d’un APC. C’est effarant. Deuxième critère : que toutes les parties sachent pourquoi et dans quel contexte elles parlent de ce sujet. Elles doivent avoir accès à des informations essentielles comme la motivation, le projet d’entreprise, les orientations stratégiques, les menaces et les enjeux auxquels l’entreprise fait face. Il faut aussi que la direction annonce clairement ce qu’elle espère retirer de l’APC et les risques qui ont pu être identifiés.

Christian Thuderoz : Que veut dire le fait de négocier de façon « loyale » ? Les quelques articles dans le Code du Travail qui parlent d’une négociation dite « loyale et sérieuse » mentionnent trois critères : l’employeur doit convoquer toutes les organisations syndicales et préciser le lieu de réunion ; il doit donner les informations pour négocier en « toute connaissance de cause » ; et l’employeur doit répondre aux propositions éventuelles des organisations syndicales. C’est assez pauvre comme conditions, et ne concernent pas vraiment la loyauté. Celle-ci traduit une fidélité envers soi-même, envers ses propres engagements, envers des principes moraux.

Ces critères de loyauté sont-ils remplis dans les APC que vous suivez ?

« La négociation ne s’intéresse pas au processus. […] C’est prémâché et formaté. »

Georges Meyer : Je constate, dans l’ensemble, peu de transparence dans la négociation des accords dans lesquels j’interviens. L’emprunte culturelle est forte. On reste, du côté de l’entreprise dans des négociations où l’on considère que moins on en dit, plus fort on est. Il y a de vraies problématiques de confiance du côté des directions d’entreprise. La négociation ne s’intéresse pas au processus. Elle privilégie le résultat : aboutir à un outil permettant de déroger aux règles légales ou de la branche ou de permettre une modification du contrat de travail. C’est ce que j’appelle la « négociation PDF » : c’est prémâché et formaté.

Christian Thuderoz : le législateur français, en usant du terme de « loyauté », introduit en négociation collective une dimension morale, et cela pose problème. Car il ne parle que de calendrier et d’informations, et les critères qu’il donne ne concernent pas le processus de négociation : ils se concentrent sur l’organisation et la phase de préparation. Le plus important est le « comment on négocie ». On peut ainsi s’inspirer de la législation nord-américaine. Elle parle surtout de « bonne foi » et liste pas moins de 41 interdictions pour définir the duty to bargain in good faith, l’obligation de négocier de bonne foi.

« Pourquoi ne pas s’inspirer de la législation nord-américaine et l’obligation de négocier de bonne foi ? »

Parmi ces interdictions, certaines sont-elles considérées comme faisant partie du savoir-faire normal du négociateur en France ?

Christian Thuderoz : Oui, car nous avons en France une conception surtout compétitive de la négociation collective. Le droit américain prend en compte deux critères : l’intention sincère de conclure un accord, et les efforts raisonnables des négociateurs pour rechercher des solutions. Ce qui n’empêche pas les négociations « dures » où les parties cherchent à concéder le moins possible. Mais cela interdit les négociations « de façade », car conduites sans intention réelle de conclure un accord collectif.

En France, l’obligation impose souvent l’ouverture de la négociation mais pas sa conclusion. Cette différence en dit long.

Georges Meyer : Oui mais cela concerne uniquement les NAO (négociations annuelles obligatoires). Pour les APC c’est différent car l’entreprise a besoin d’un résultat pour déroger au contrat de travail. L’objectif est d’aboutir à une signature « majoritaire” ». La façon dont on l’obtient, on s’en occupe assez peu. Curieusement, en matière d’APC, c’est davantage le Code Civil qui pourrait nous outiller. La Réforme de 2016 vient organiser la phase pré-contractuelle et l’un des articles illustre ce qu’est la loyauté. Il consacre un devoir d’information pré-contractuel pour les informations qui ont un intérêt direct. Si une partie connaît un élément déterminant le consentement de l’autre, elle a le devoir de le partager. On comprend bien la déclinaison dans la négociation sociale (quelle est la situation économique et financière ? quelles sont les orientations stratégiques ? quels impacts en termes d’emplois – GEPP ? etc.).

Les Ordonnances appellent à de la confiance entre les partenaires pendant la négociation mais elles ne sont pas exigeantes sur le processus. Est-ce un signal de méfiance des avis de la partie faible ?

Georges Meyer : C’est un choix politique qui privilégie le résultat. Il fallait un support pour modifier le contrat de travail. L’APC a été présenté comme un héritier de l’accord de maintien de l’emploi mais c’est faux. On peut d’ailleurs conclure des APC dans des TPE sans représentants du personnel. Il n’y a donc même toujours de réelle négociation.

Christian Thuderoz : La qualité du résultat dépend de la qualité du processus de négociation. Il faut donc outiller les négociateurs, leur faire connaître de bonne pratiques de négociation, leur suggérer des méthodes efficaces. . Et cela est valable pour les deux parties ! Une bonne piste de travail est le caractère « sérieux » des négociations, ce qui suppose de réfléchir en termes de qualité de processus et de méthodes pour converger vers un accord mutuellement satisfaisant…

Georges Meyer : Je crois au compromis social. Sur le papier, les APC rendent cela possible avec l’idée d’un pacte donnant-donnant. Mais en pratique, ce n’est pas le cas. Les salariés acceptent de lâcher quelque chose sans savoir pourquoi ni où ils vont. N’oublions pas que la négociation est un processus continu. Il n’est pas question de faire des coups pour réduire les coûts mais de s’inscrire dans la durée pour faire face aux nombreuses mutations économiques.

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