Point de vue

Développer l’approche RH des mandats d’élus en entreprise

un autre levier pour un dialogue social de qualité

Les négociations encadrant la mise en place du CSE en 2018 et 2019 ont incité les entreprises françaises à réinterroger l’organisation et les moyens alloués aux relations sociales. Malgré des intentions d’ouvrir le débat sur le développement de la qualité du dialogue social, les négociations auront principalement porté sur le nombre d’élus, le nombre d’heures de délégation et le choix du périmètre du CSE dans les entreprises multi-établissements (1). Une approche particulièrement quantitative et juridique ne répondant pas pleinement aux ambitions de renforcement du dialogue social en entreprise et de culture de négociation portées par les ordonnances de 2017. D’autres objets pourtant, dans une perspective de valorisation de l’utilité des mandats de représentation, constitueraient des leviers pour un dialogue social de qualité : le dialogue professionnel au quotidien entre managers et représentants et la gestion des carrières de ces derniers. Il s’agit d’ouvrir la discussion sur l’intérêt d’un dialogue social vivant, au travers de l’activité concrète des élus et représentants, des modes de fonctionnement quotidiens, de l’attractivité du mandat, ou encore de la valorisation des rôles et compétences des représentants du personnel. Autant d’objets relevant des missions RH, à condition de considérer les élus et mandatés comme une population contribuant à l’intérêt commun de l’entreprise et dont les conditions d’activité et d’emploi particulières nécessitent un accompagnement. 

L’exercice du mandat : une activité parallèle à l’organisation de l’entreprise ?

Bien que la loi définisse les attributions des IRP (articles L2312 du code du travail), les activités effectivement réalisées par les représentants dans leur mandat restent hétérogènes et dépendantes de nombreuses caractéristiques : l’ancienneté et l’expérience dans le mandat, l’historique des relations sociales de l’entreprise, les pratiques en matière d’accompagnement par du conseil externe, le cadre négocié lors de la mise en place du CSE, l’organisation syndicale d’appartenance, etc. Ces pratiques sont donc étroitement dépendantes de l’histoire du dialogue social et du modèle d’organisation mis en œuvre par les acteurs de l’entreprise.

L’appel rituel, par les directions, au « dépassement des postures » est souvent le symptôme d’une mauvaise appréhension de l’ancrage culturel et historique des pratiques syndicales. Une ambition de rénovation du dialogue social peut alors être perçue, par les élus et mandatés, comme une volonté de remise en cause frontale de leur rôle de représentants, ce qui alimente une forme de crispation.

« Privilégier une approche plus pragmatique en s’appuyant sur les représentations du travail réalisé par les élus et mandatés. »

Une approche plus pragmatique, permettant de définir des actions concrètes et souhaitables de développement de la qualité du dialogue social, pourrait s’appuyer sur les représentations du travail réalisé par les élus et mandatés (2). Ce travail est souvent décrit par les représentants et équipes en charge des relations sociales comme une forme de bénévolat ou un engagement associatif. Les actions et la capacité d’influence des OS et des IRP reposeraient sur l’investissement de quelques-uns et l’activité réalisée dans le cadre du mandat serait dissociée de l’activité salariée.

Pourtant, au sein de l’entreprise, les mandats et le statut de salarié sont intimement liés. D’une part, l’une des principales conditions au mandat est l’existence d’un contrat de travail avec l’employeur, c’est-à-dire que c’est parce qu’une personne est salariée de l’entreprise qu’elle peut être candidate à un mandat de représentation (Code du travail, article L. 2314-19) (3). D’autre part, le temps de délégation est du temps de travail effectif, sans distinction sur le bulletin de paie (Code du travail, articles L. 2315-10 et R. 3243-4).

Les activités réalisées au titre du mandat, sur ce temps de travail, peuvent avoir des objectifs divers (par exemple de régulation de problématiques collectives ou individuelles, de consultation sur un projet porté par l’employeur, d’accompagnement de salariés dans des procédures disciplinaires, de tenue de permanences, etc.).

« Forger un intérêt commun autour des activités liées à l’exercice du mandat »

Ces activités — y compris quand elles s’inscrivent dans un contexte conflictuel — contribuent in fine à forger un intérêt commun autour duquel tous les acteurs se retrouvent (4). La définition de cet intérêt commun ne va bien sûr pas de soi, et peut constituer l’objet-même du dialogue social. Pour les partenaires sociaux, il s’agit de contribuer à la pérennité de l’entreprise pour et au nom des salariés qui y travaillent (on peut parler d’une collectivité de travail), dans un cadre qui serait jugé acceptable par tous.

Le mandat de représentation du personnel ou syndical s’envisage alors comme une mission particulière, exercée par certains salariés par délégation d’autres salariés, et qui contribue à la régulation de la collectivité de travail dans son ensemble.

Considéré avant tout sous l’angle de sa contribution à la régulation et au fonctionnement de l’entreprise, le travail des représentants du personnel dans le cadre du dialogue social devient un objet que les fonctions RH se doivent de saisir et d’accompagner.

« Les RH contribuent, en collaboration avec les managers, à la relation de confiance nécessaire au dialogue. »

Développer l’engagement des RH dans l’accompagnement des conditions de travail des élus et mandatés

L’activité des représentants du personnel dans leur mandat et leurs positionnements dans l’entreprise s’articulent au sein de différentes temporalités : la temporalité quotidienne et opérationnelle, avec la gestion des temps de mandats et des temps de travail au poste, et la temporalité de la carrière, avec la gestion et l’accompagnement des parcours professionnels. Notre expérience montre qu’en se souciant des conditions d’exercice du mandat et des enjeux d’attractivité et de valorisation du mandat syndical, les RH contribuent, en collaboration avec les managers, à la relation de confiance nécessaire au dialogue. Le principe est d’accompagner les représentants du personnel dans leur autonomie d’activité, en lien avec leurs organisations syndicales, sans pour autant prescrire ce que ferait un « bon représentant ».

Les chantiers ouverts par les équipes RH d’une entreprise gagnent à se traduire par des actions concrètes dont les effets peuvent être perçus à moyen terme par les représentants en place, tout en inscrivant la démarche dans la durée. Quelques exemples peuvent être cités :

– Concernant l’articulation des temps de mandats et des temps au poste de travail (temporalité quotidienne) : mieux communiquer sur les prises d’heures de délégation auprès des équipes, anticiper l’agenda des instances et des temps de préparation, limiter le débordement des activités de mandat sur les temps personnels, outiller les échanges entre manager et élu sur l’organisation du mandat, etc.

– Concernant la gestion des parcours professionnels (temporalité de la carrière) : définir un processus d’adaptation des postes sur lesquels des élus qualifiés postuleraient, mettre en place un dispositif de reconnaissance des compétences développées dans le mandat pour les mobiliser dans le cadre du poste de travail, accompagner les élus qui n’auraient eu aucune proposition d’évolution professionnelle depuis plusieurs années, etc.

Une première étape : faire du dialogue social un objet du dialogue social

Avant d’ouvrir ces sujets, un premier pas essentiel est d’en instruire le besoin et les enjeux, par la mise en discussion de l’organisation et du travail réalisé dans le cadre du dialogue social. C’est bien aux différents niveaux de l’entreprise (groupe, établissements) que représentants du personnel et direction doivent poser ensemble les conditions d’un dialogue social de qualité.

Plein Sens expérimente actuellement auprès d’un grand industriel français l’animation d’un dialogue entre représentants du personnel, managers de ces derniers et équipes RH d’établissement, sur le travail des mandatés, le rôle du dialogue social et les conditions d’exercice du mandat. Cette configuration est exceptionnelle car, de l’avis des participants, ces thématiques ne font pas habituellement l’objet de discussions ouvertes et collectives. Ce dispositif contribue à la réunion de deux univers, pour esquisser un modèle de collaboration à l’intérêt commun de l’entreprise.

Il est piloté et animé par la direction RH de l’établissement, qui s’engage à faire du fonctionnement du dialogue social un objet même du dialogue social. Dès les premières semaines suivants ces mises en discussion, des actions se mettent en place, à l’initiative des participants eux-mêmes. Quelques exemples concrets de ces réalisation : la constitution de groupes de travail par les élus sur le mode de fonctionnement de la représentation de proximité, l’organisation d’échanges mensuels hors instance entre direction et délégués syndicaux et à l’ordre du jour variable selon l’activité de l’entreprise, la revue des plannings des salariés en tenant compte du calendrier social, ou encore la coordination entre organisations syndicales et direction sur l’information des salariés suite à une négociation.

« En reconnaissant l’utilité des mandats de représentation, l’entreprise envoie un signal important vis-à-vis de l’ensemble du corps social. »

Il s’agit alors pour les RH d’embrasser pleinement leur rôle d’accompagnement des salariés exerçant un mandat de représentation, en collaboration étroite avec le management. En effet, un pilotage RH ne saurait se passer d’une mise en œuvre opérationnelle par le management, car c’est bien sur le terrain, au quotidien, que les conditions d’exercice des mandats peuvent s’améliorer. En reconnaissant ainsi l’utilité des mandats de représentation, l’entreprise envoie un signal important vis-à-vis de l’ensemble du corps social pour légitimer le dialogue social et ceux qui le font vivre.

(1) Rapport France Stratégie, Évaluation des ordonnances relatives au dialogue social et aux relations de travail, Décembre 2018 (p.10). Le rapport souligne en outre « l’absence de diagnostic partagé sur le fonctionnement d’ensemble du dialogue social et de la négociation dans l’entreprise », rapportée dans une majorité de cas.

(2)  Nous nous appuyons ici sur l’expérience du cabinet Plein Sens dans l’accompagnement de stratégies sociales, de négociations et de procédures d’information-consultation, au sein de diverses entreprises (taille, secteur d’activité, histoire du dialogue social, etc.).

(3)  Une fois élu/désigné, le représentant du personnel reste un contractant salarié (subordonné) mais bénéficie d’un statut d’ordre public qui le protège et lui permet d’exercer son rôle en toute indépendance.

 (4) Définition du dialogue social par l’Organisation Internationale du Travail : « le dialogue social inclut tous types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun. »

Cet article a également fait l’objet d’une publication sur le site d’information spécialisé actuEL-RH le mardi 25 mai 2021 dans le cadre d’un partenariat.

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