Débats

Accords de performance collective : raison et sentiments

En débat : les principes fondateurs du dispositif, les conditions d'exercice des négociations collectives et les (difficiles) équilibres à trouver

Initiés par les ordonnances Macron-Pénicaud à l’automne 2017 et placés à l’avant-scène en 2020 par le contexte de crise sanitaire, les Accords de performance collective sont un dispositif récent, permettant à l’entreprise d’aménager durées du travail, rémunérations et mobilités par négociation, pour répondre aux « nécessités liées à son fonctionnement ». Plébiscités pour leur souplesse par certains, accusés de tendre vers un « moins-disant social » par d’autres, pourquoi et comment ont été conçus ces Accords d’un nouveau genre ? Quels en sont les avantages ? Quels en sont les écueils et les risques ? Conversation éclairante avec Franck Morel, expert du droit du travail, conseiller du Premier ministre Edouard Philippe sur les questions de relations sociales, de travail et d’emploi de 2017 à 2020, architecte et contributeur des ordonnances de 2017 et de nombreuses réformes du travail et de l’emploi auprès du ministère du Travail.

Les propos rapportés sont issus d’une rencontre-atelier virtuelle organisée le 6 octobre 2020 par l’équipe de Plein Sens, animée par Olivier Mériaux, directeur conseil, avec la participation de Nils Veaux, directeur général, et de l’ensemble des collaborateurs du cabinet.

Publié le
9 novembre 2020
Photo couv.

Adrien Nowak / Hans Lucas.

Négocier ensemble pour aménager le travail et l'entreprise

« Les Accords de performance collective sont un mécanisme qui vise à faire prévaloir la règle collective sur la règle individuelle. Le choix a été fait depuis plusieurs années, au niveau politique, de donner plus d’espace à la négociation collective. Les accords de réduction du temps de travail liés au 35 heures avaient déjà été créés en ce sens, et beaucoup d’accords ont été négociés à l’époque par les entreprises. Mais c’était les prémices, et il s’agissait d’un mécanisme conjoncturel. Ensuite, le législateur a proposé de nouveaux dispositifs avec la loi de sécurisation de l’emploi de 2013 : les Accords de maintien dans l’emploi et les Accords de mobilité interne. Mais ces dispositifs n’ont pas marché, au sens où très peu d’accords ont été signés par les entreprises. Pourquoi ? Deux ingrédients y ont contribué : d’abord un « menu obligatoire » très poussé, c’est-à-dire qu’ils contenaient beaucoup de clauses obligatoires et des conditions de recours très cadrées ; et ensuite un régime de licenciement des salariés trop peu sécurisé et stabilisé, puisque basé uniquement sur un licenciement pour motif économique (nécessitant pour les entreprises de prouver des difficultés économiques avérées, sans possibilité d’être dans l’anticipation). Le législateur s’est donc donné comme cahier des charges pour ces nouveaux Accords de performance collective : la plus grande souplesse possible, sans « menu obligatoire », sans clauses restrictives, en faisant confiance à la négociation collective ; et un motif de licenciement des salariés qui soit à la fois sécurisé et fluide. »

Franck Morel

Nouvelle agilité ou déséquilibre exacerbé ?

« Il s’agit d’une innovation socio-juridique intéressante, au-delà des aspects techniques, mais aussi sur le plan politique, dans l’idée de questionner et d’améliorer les relations au travail, l’association des salariés aux décisions de l’entreprise et aux négociations, l’acceptabilité sociale des décisions, le partage des responsabilités, les liens entre l’entreprise et la société, etc. Tous ces éléments dans la philosophie de ces Accords de performance collective sont très positifs, pour faire en sorte que ce soit la communauté qui prenne en main son destin, en incluant les actionnaires, les salariés, les dirigeants… Y compris pour imaginer des solutions d’adaptation et des compromis qui parfois, évidemment, sont durs. […] Mais tout ça n’est possible que si les entreprises mettent en place les moyens nécessaires pour que la communauté puisse réellement dialoguer et construire : je parle de moyens en termes d’argent, de compétences, de temps… Il faut que les entreprises anticipent et régulent l’asymétrie de moyens qui existe toujours entre les partenaires sociaux et les directions. » 

Nils Veaux

« Les Accords de performance collective se projettent sur un idéal impossible, du fait des conditions de négociation dans les entreprises. Les paramètres et la souplesse de cet outil le rendent très séduisant pour entamer un travail de co-construction. Mais cette souplesse ne garantit pas l’équilibre des rapports de force, l’équilibre des connaissances et des compétences des acteurs, et de leur motivation. Les Accords de performance collective sont un bon outil dans un monde qui n’existe pas… Mais il faut se donner les moyens pour construire ce monde : initier un « pré-accord » de la gouvernance (dirigeants et actionnaires) pour intégrer réellement le corps social dans la discussion et passer du temps à creuser ensemble les scénarios, préparer la formation et l’accompagnement des représentants des salariés (instances et délégués du personnel), créer des espaces-temps et des structures de pilotage dédiés… »

Etienne Forcioli Conti

« En termes d’équilibre de la négociation, l’environnement n’est pas neutre, c’est sûr, puisque la négociation n’aura pas forcément un impact positif sur certains aspects pour les salariés. Ce qui est important, c’est de travailler à la répartition de l’effort sur les différentes catégories de salariés ; cette question doit être traitée. Au-delà, le meilleur garde-fou, c’est la négociation elle-même et la pression du corps social, qui peut légitimement absolument être exercée — même si on sait que la capacité de pression est inégalement distribuée dans les entreprises. Sur le plan du texte, le choix politique a été de ne pas renforcer les clauses et conditions, sous peine de « tuer » les Accords de performance collective et de voir se multiplier les solutions individuelles… »

Franck Morel

« Chez Plein Sens, nous avons accompagné la négociation de trois Accords de performance collective. C’est assez compliqué, parce que c’est à la fois un processus de négociation et un processus de conception-création. C’est difficile, mais les conséquences sont vraiment fortes pour l’équilibre du collectif. Il faut traiter collectivement de cet équilibre, en projetant et en rendant visible les futures conditions d’exploitation. »

Nils Veaux

« Il faut aussi que l’entreprise se projette sur le devenir des mesures au-delà de la durée même de l’accord. L’accord de performance collective est conclu à un moment donné, mais la situation peut être amenée à évoluer. Qu’advient-il des dispositions — par exemple des mobilités géographiques de certains salariés — en cas de retour à la situation initiale ? Qu’advient-il si l’accord est remis en cause par une fusion ou une autre opération ? Ce sont des questions qu’il faut se poser en amont, car beaucoup de situations personnelles sont impliquées. » 

Franck Morel

Périmètre et préambule

« Un autre aspect fondamental de ces Accords de performance collective, c’est que la clé d’entrée est large : le développement ou la préservation de l’emploi, pour répondre aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise. Ça veut dire deux choses : d’abord que ce sont des notions encadrées juridiquement, notamment par l’article 24 de la charte sociale européenne et la convention 158 de l’OIT, donc un juge peut intervenir pour examiner et juger de la nécessité pour l’entreprise et rendre l’accord – et les licenciements – caduques ; mais aussi que les entreprises peuvent, avec cet outil, faire preuve de beaucoup d’inventivité et de créativité pour trouver des solutions sur mesure aux situations auxquelles elles sont confrontées. Cela leur permet aussi d’agir, de manière sécurisée, face à des causes non-économiques. Avant, il n’existait par exemple aucun système juridiquement sécurisé qui permette de fermer un site pour des raisons environnementales. »

Franck Morel

« Du côté opérationnel, c’est bien ce sur quoi on doit débattre et négocier : sur « ce qui fait nécessité ». Parce que ce qui est compliqué, c’est qu’on peut mettre plein de choses là-dedans. Il faut une sincérité avant « l’entrée en mêlée », il faut accepter de partager le diagnostic et la vision d’ensemble. Il y a d’ailleurs un préambule qui est recommandé dans le dispositif des Accords de performance collective, et ce préambule peut justement servir à partager et à cadrer cette nécessité, dans l’esprit de ce que nous avons initié chez Plein Sens avec les pactes d’avenir. » 

Nils Veaux

Mémo 

Concrètement, le dispositif des Accords de performance collective ouvre la possibilité pour l’entreprise de mener une négociation collective, aboutissant à un accord impliquant tout ou partie de ses salariés (une ou plusieurs catégories de travailleurs, fonctions, sites…) et aménageant l’un et/ou l’autre des domaines suivants :  « les durées du travail, leurs modalités d’organisation et de répartition ; les rémunérations ; les conditions de mobilité fonctionnelle et géographique interne. »

Et ce, en primant, une fois l’accord conclu, sur le cadre préalablement défini par les accords de branche ou  les contrats de travail des salariés. Les stipulations de l’Accord de performance collective vont se substituer de plein droit aux clauses contraires et incompatibles des contrats des salariés, pendant toute la durée de vie de l’accord. Cette possibilité n’existait pas jusqu’alors en droit social.

La durée de l’accord et ses contreparties sont fixées par négociation. Les aménagements peuvent être temporaires comme de durée indéterminée.

L’Accord de performance collective doit être conclu « pour répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi », mais son motif ne nécessite pas de justification particulière de la part de l’entreprise ; et le préambule exposant les motifs est facultatif. 

Pour autant, les entreprises sont soumises aux obligations suivantes : 

– elles sont tenues de respecter le Code du travail, la convention collective concernée ainsi que les salaires minimas hiérarchiques conventionnels de branche ; 

–  elles doivent suivre le cadre classique des négociations collectives : signature de l’accord en présence d’un délégué syndical, par l’employeur ou son représentant, et par une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli plus de 50 % des suffrages, information obligatoire de l’ensemble des salariés de l’existence et du contenu de l’accord, ainsi que du droit de chacun d’eux d’accepter ou de refuser son application à son contrat de travail ;

– elles doivent abonder le Compte personnel de formation de chaque employé licencié d’un montant exceptionnel minimal de 3 000 €.

Et du côté des salariés : ils disposent d’un délai d’un mois pour faire connaître leur refus à l’employeur. En l’absence de notification écrite sous ce délai, les salariés sont réputés avoir accepté l’application de l’accord à leur contrat de travail. En cas de refus par le salarié, l’employeur peut engager une procédure de licenciement pour motif « sui generis » (c’est-à-dire sans motif ni personnel ni économique, et ouvrant les droits au chômage pour le salarié licencié).

Sources 

Accords de performance collective – Site du ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, mise à jour du 22 juillet 2020
L’accord de performance collective – Questions-réponses – Ministère du Travail, de l’emploi et de l’insertion, juillet 2020
Évaluation des des ordonnances du 22 septembre 2017 relatives au dialogue social et aux relations de travail – Rapport intermédiaire – France Stratégie, juillet 2020
Enseignements des premiers accords de performance collective – Sextant expertise, juin 2019
Trait d’union n°112 – Secafi, été 2020
Le ministère du Travail recadre les accords de performance collective – Les Echos, 12 août 2020
L’accord de performance collective : un accord de tous les dangers ? – Site de Force Ouvrière, 7 juin 2020
Le charme apparent des accords de performance collective, Pascal Lokiec – Libération, 16 juin 2020