ou comment repenser le modèle traditionnel de délégation en entreprise
La démarche de responsabilisation vise à étendre au maximum la responsabilité de chaque individu et prend le contre-pied du modèle traditionnel de délégation. Leur analyse, du point de vue des conditions de réussite de leur mise en place et de leur pérennité, appelle à ouvrir le débat sur des grilles de lecture plus transversales qui tiennent compte des dimensions relationnelles de la régulation du travail au sein des collectifs.
Performance et engagement, principaux moteurs des démarches de responsabilisation
Face au constat d’une performance en demi-teinte ou d’un désengagement des équipes, l’organisation peut vouloir initier un nouveau modèle visant à transférer la responsabilité de la prise de décision à leurs équipes. Cette démarche invite à questionner la situation initiale, souvent bâtie autour d’un modèle traditionnel de délégation, et identifier ses limites, pour réinterroger le rôle et le périmètre de responsabilité de chacun, afin de penser des solutions collectives et la création d’un nouvel équilibre.
Une mise en œuvre par étape
La mise en place de démarche de responsabilisation s’organise en étapes successives, afin de questionner les raisons d’être et les attendus du nouveau système de management pour ensuite le généraliser dans l’entreprise de façon viable et pérenne :
- Déconstruire l’ancien modèle pour construire le nouveau, avec un nécessaire temps de réflexion et d’analyse pour élaborer et partager une vision commune.
- Mettre l’organisation elle-même en mouvement, en commençant par les managers de premier niveau pour étendre ensuite la démarche vers les équipes. En engageant les équipes dirigeantes en premier, un effet d’imitation peut ainsi soutenir la propagation de cette nouvelle forme de management.
- Ancrer la transformation dans l’organisation, en s’assurant que les résultats attendus se réalisent et en rendant visibles les décalages.
Une relocalisation du pouvoir, inhérente à chaque démarche de responsabilisation
La responsabilisation entraine un déplacement de la prise de décision : c’est la subsidiarité, définie comme la capacité d’une organisation à laisser la décision au niveau où s’effectue l’action. Il s’agit d’un système ascendant, dans lequel le pouvoir de décision est laissé à l’équipe qui mène l’action, en opposition avec le système traditionnel de délégation dans lequel le manager a le pouvoir de décider sur tout et peut confier à certains-nes une partie des décisions. La responsabilisation des équipes passe ainsi par une redistribution du pouvoir de décision et la redéfinition du rôle de manager, qui de décisionnaire devient une figure de soutien lorsque l’équipe le sollicite.
En prévention d’un éventuel sentiment d’insécurité que peut susciter ce transfert décisionnel, la collégialité apparait comme un mode de fonctionnement ressource où les échanges et la discussion permettent à la fois de décider collectivement et ainsi de partager la responsabilité.
La redéfinition du rôle du manager : réguler plutôt que régler le travail
Afin d’accompagner au mieux cette transformation, différentes actions peuvent être menées à chaque étape du processus. Il peut s’agir d’actions de formation (pour aider les managers à porter un nouveau regard sur le travail), d’analyse (pour questionner la situation initiale et co-construire une nouvelle vision pour l’organisation) ou encore d’actions de pilotage (redistribuer la décision entre managers et l’équipe dans une logique verticale, mais aussi entre les membres de l’équipe dans une approche horizontale).
Deux actions en particulier jouent un rôle central dans cette démarche :
- d’un côté, l’identification du domaine réservé au manager et à l’équipe, pour partager au mieux la gouvernance. La pratique du « domaine réservé » pour définir le nouveau partage de gouvernance est un élément clé ; cette analyse peut passer par des réunions collectives et des workshops permettant d’identifier le « pré carré » du manager, et ainsi les sujets sur lesquels il demeure décisionnaire. En menant à bien ce travail, l’objectif est de réinterroger le périmètre de décision du manager, agrandissant ainsi le périmètre de décision de l’équipe ; celle-ci s’organise ensuite collégialement pour la prise de décision, de façon autonome.
- de l’autre, l’apprentissage du « management par l’intention ». Il s’agit alors de définir des « cadres » pour laisser les équipes autonomes, tout en donnant des repères pour orienter leur action. Là encore, ces cadres visent avant tout à laisser une plus grande autonomie à l’équipe, tout en faisant du manager un recours en cas de besoin.
Les managers voient leur rôle profondément modifié dans le cadre de cette démarche de responsabilisation. Sans une compréhension fine en amont des problématiques et enjeux associés à leur statut, cette transformation risque de manquer sa cible en n’accompagnant pas suffisamment –ou pas correctement- les managers dans leur changement de posture. Cette approche côté manager, complémentaire des leviers de subsidiarité et de collégialité qui concernaient avant tout les équipes, permet d’aligner la vision des différentes parties prenantes et s’avère être une condition nécessaire dans la mise en place de la responsabilisation.
Un modèle incomplet, qui invite à une lecture moins pyramidale de l’organisation
Cette démarche de responsabilisation, bien que comportant de nombreux avantages, peut connaître des limites. Dans les endroits où elle a été mise en place, si des retours positifs ont été entendus, une difficulté à maintenir cette démarche sur le long-terme est aussi évoquée. Une évaluation en demi-teinte émerge par rapport aux objectifs initiaux de performance et d’engagement, qui nécessiteraient pour être atteints une transformation en profondeur de l’approche de l’organisation.
Au-delà des conditions de réussite sur le court-terme, ce sont alors bien les conditions de pérennité qu’il convient aujourd’hui d’interroger, dans un cadre plus large que celui de l’équipe. Les entités interagissent dans une logique de réseau, chacune avec des terrains et des échelles différents ; une grille de lecture pyramidale de l’organisation échoue à rendre compte de ces enjeux et des conflits de logique entre les entités. La difficulté de pérenniser la démarche de responsabilisation appelle ainsi une réflexion plus globale, en tenant compte des interactions et des conflits entre les unités, mais aussi de la façon dont l’organisation pense son système d’autorité.
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Johan Morin / Hans Lucas.