Point de vue

Mobilités

les leviers pour penser le travail et ses conditions en dehors du bureau

Si la nouvelle loi d’orientation des mobilités (LOM), promulguée en décembre 2019, ouvre dans l’entreprise la voie aux négociations sur le sujet, elle interroge surtout l’objet même sur lequel doit porter cette négociation. Souvent réduite à la simple question du trajet domicile-travail, la problématique de la mobilité appelle pourtant une réflexion plus large incluant notamment le travail à domicile et son impact sur l’habitat.

À la sortie du confinement, où 1 français actif sur cinq travaillaient depuis leur domicile, Plein Sens, en collaboration avec l’association Le Nouvel Institut,  a organisé une rencontre avec Pascal Dreyer, directeur du réseau de recherche Leroy Merlin Source (LMS) qui depuis plusieurs années a engagé des travaux sur la définition et la représentation du « chez-soi », les liens sociaux induits et le sens même de l’habité. Son parti-pris : étudier la question de la mobilité depuis le lieu de vie et non plus depuis le lieu de travail. Les travaux de Leroy Merlin Source concluent à une situation paradoxale « d’aliénation heureuse » dans le travail à domicile, dans laquelle les salariés apprécient la possibilité de travailler depuis chez eux et le vivent comme un privilège, tout en dénonçant la perte de repères induite par cette situation.

Cet équilibre entre affranchissement et aliénation peut pencher d’un côté ou de l’autre en fonction de critères de genre, d’âge et de maîtrise des outils digitaux. Le risque reste toutefois celui d’un travail fragmenté, où chacun devient un exécutant en accomplissant une tâche précise mais en perdant la vue d’ensemble du projet.

Le travail à domicile : les déterminants d’une situation paradoxale

De l’analyse, ressortent des déterminants structurants pour penser la question de la mobilité et des conditions de travail, en dehors du bureau.

Le chez-soi apparaît comme un espace d’intimité sanctuarisé : introduire le travail dans cet espace induit donc une porosité qui change le rapport à son environnement, à soi-même et aux autres.

Le travail depuis chez-soi investit toutes les dimensions du domicile : l’espace d’abord, puisqu’aujourd’hui l’ensemble des pièces est utilisé pour travailler, notamment la chambre ; mais aussi le temps, car les nouveaux supports de travail (téléphone, tablette…) permettent au travail de s’immiscer dans tous les temps de la vie quotidienne, sans séparation avec la vie familiale ; d’où une demande de compensation qui apparaît chez les salariés en reconnaissance de cette « invasion » de leur espace personnel.

L’abolition des frontières physiques entre les lieux se double d’une abolition temporelle des « sas » de mise en route ou de déconnexion, qui correspondaient auparavant aux temps de transport entre le domicile et le bureau. Travailler depuis chez soi prive donc de ce sas pourtant nécessaire, mais aussi d’autres temps importants comme la pause déjeuner ou les apartés et échanges informels entre collègues. Le travail depuis chez-soi ne fait pas disparaitre le besoin d’avoir un regard extérieur, de rendre visible son travail, d’être reconnu professionnellement et socialement.

Quels leviers d’intervention pour accompagner le dialogue dans l’entreprise sur les conditions de travail en mobilité ?

Réinterroger les modalités d’exercice du travail
dans quelle mesure le travail pourrait ou non se déplacer en dehors du lieu traditionnel, sa signification et son utilité.

Repenser les espaces de travail eux-mêmes 
dans les bureaux en open spaces et les tiers-lieux, le langage général dans l’aménagement de l’espace est aujourd’hui celui du « chez-soi », pour que les personnels se sentent « comme à la maison », ce qui concourt encore à la confusion entre les espaces dédiés au travail et à la vie personnelle. Il apparaît donc nécessaire de redéfinir « le territoire de travail » et son articulation avec le « territoire d’intimité ».

Si le sujet des mobilités est traité à travers une approche « compensation-réparation » centrée sur les trajets pendulaires, il s’agit bien seulement d’entrées ou d’interpellations qui invitent à mener une réflexion plus large sur les conditions du travail en mobilité. La construction de cet objet de réflexion doit donc aller bien au-delà de la simple question des trajets et intégrer des problématiques allant du droit à la déconnexion à la lutte contre l’absentéisme.  

Publié le
19 octobre 2020
Photo couv.

Sandrine Mulas / Hans Lucas.