Que signifierait de « désintervenir » en tant que consultante ou consultant ?

Le premier atelier-recherche, organisé le mercredi 9 octobre 2024, chez Plein Sens, a porté sur l’idée de “désintervention”.

Nous avons lancé un cycle d’ateliers-recherche en interne, conçus et animés par Maud Dégruel et François Cueille, qui sont tous deux à la fois chercheurs et consultants chez Plein Sens dans le cadre d’un dispositif de Conventions Industrielles de Formation par la Recherche (Cifre).

Maud Dégruel consacre son travail de thèse en philosophie à l’expérience esthétique au travail. Elle tente de faire émerger ce qui s’y joue au plan sensible et qui échappe le plus souvent aux outils d’analyse rationalistes et gestionnaires. 

François Cueille, quant à lui, mène une thèse en sciences de gestion sur l’évaluation des sociétés à mission, en s’intéressant plus particulièrement à la gouvernance d’entreprise et au dialogue avec les parties prenantes.

Publié le
25 novembre 2024
Photo couv

Denis Meyer / Hans Lucas.

Atelier-recherche de Plein Sens

Ce cycle de rencontres a pour objectif de questionner notre posture auprès de nos clients et nos savoirs d’intervention comme consultant·e·s. Nos réflexions collectives s’appuient sur des textes et sur la présentation de travaux de recherche, elles sont l’occasion d’échanges sur nos pratiques et nos vécus professionnels.  

Le premier atelier-recherche, organisé le mercredi 9 octobre 2024, a porté sur l’idée de “désintervention” ou comment se mettre en retrait pour laisser émerger les savoirs des personnes accompagnées, tout en assumant notre mission d’informer le terrain, de susciter la réflexion et les évolutions ? Nous nous sommes notamment interrogés sur la manière dont agit le langage et dont les savoirs peuvent se co-construire dans l’action, sur le terrain. 

Questionnements : 

Les échanges ont ainsi mis en lumière plusieurs questionnements :

  1. Intervenant ou facilitateur ? Comment passer de l’intervention à l’accompagnement pour s’inscrire dans un mouvement commun avec nos interlocuteurs de terrain chez nos clients ?
  2. Quelle place pour le savoir des différents acteurs ? Comment reconnaître et valoriser les connaissances des personnes, plutôt que leur imposer une expertise ?
  3. Comment, en tant que consultant·e·s, repenser notre légitimité et notre impact tout en acceptant la complexité des situations rencontrées que nous ne pouvons totalement embrassée ?
  4. Jusqu’où aller sans devenir intrusif, et peut-être heurter ou dé-responsabiliser ? Comment faire émerger les conditions de la résolution du problème par le dialogue et la co-construction (plutôt qu’imposer de l’extérieur des solutions prêtes-à-l’emploi) ?

Questionner la notion d’intervention

« Le terme même d’intervention m’interpelle. En effet, celui-ci suppose que l’action dépend de celui ou de celle qui intervient, comme dans le cadre d’un geste médical, voire chirurgical. En tant que consultante, cela me semble plus complexe, moins évident. Les choses existent et se font aussi sans nous. En ce sens, la notion d’”accompagnement” me parle davantage. »

Inès Haeffner 

“J’aime le mot de “conseil”. Dans certaines missions, on doit être des intervenants, et sur d’autres missions, on ne peut pas l’être. Le propre d’être consultant, c’est d’appréhender la situation dans laquelle on va devoir agir, plutôt qu’intervenir. J’aime l’idée que l’on puisse être des conseillers, grâce à la méthodologie qui est la nôtre, et grâce à notre posture particulière de tiers, de regard extérieur à l’organisation. » 

Aurélie Ghemouri Krief

Nous devons être consicent·e·s que les connaissances et savoir-faire nécessaires au succès d’une mission sont, pour une grande part, détenus par les membres de l’organisation que nous accompagnons. Une intervention sert surtout à catalyser la compréhension d’une situation problématique et à faciliter sa résolution”.  

Alexandre Chernet

“La question de la posture pose aussi la question du profil de la personne qui intervient, de la façon dont elle se situe par rapport au terrain d’intervention et à ses interlocuteur·ices. Pour une même mission, le fait d’intervenir comme consultant·e ne produit pas la même chose que d’intervenir comme chercheur·euse. Le genre, l’âge, l’expérience, la formation initiale, l’origine sociale sont aussi des éléments qui vont avoir un impact sur la façon dont sont produits les connaissances et les résultats d’une mission. La posture d’intervention elle-même également : on ne produira pas la même chose en conduisant des entretiens (d’autant plus s’ils sont cadrés par une trame) qu’en participant à l’activité avec les acteurs de terrain.” 

Maud Dégruel

Réfléchir aux outils et méthodes d’une éventuelle “intervention”

“La question des conditions et des méthodes d’intervention est primordiale dans la mesure où elle influence le matériau collecté et les savoirs produits. On se doit d’être très vigilent·e quant à la place que l’on donne aux protagonistes associé·e·s à la mission et aux conditions de leur participation. Ce sont des préoccupations très présentes pour les chercheurs qui interrogent aussi nos manières de faire du conseil. Que restitue-t-on aux contributeurs ? Comment ne pas “piller” leurs savoirs au service du succès de la mission mais faire en sorte que ce qui est produit les serve eux aussi directement.” 

Maud Dégruel

Ainsi, intervenir n’a rien d’anodin, en particulier au sein d’un collectif de travail. Intervenir, c’est se mêler à, c’est prendre part, le plus souvent avec l’idée d’aide, d’éclaircissement, d’apaisement. Mais au fond, vient-on s’interposer ? Intercéder ? Faire de la médiation ? Ne risque-t-on pas l’intrusion ? L’ingérence ? Même par une « simple » analyse… 

La méthode très souvent fonde et légitime l’intervention. Sa place centrale et la façon dont elle est construite méritent attention car la méthode est performative : elle tend à produire ce qu’on attend d’elle et d’une certaine manière, par le langage qu’elle incorpore, par certaines visions du travail qu’elle peut présupposer, elle peut conditionner fortement ce que produit l’intervention.


Pourrait-on s’autoriser à intervenir sans méthode préétablie ? À construire l’intervention par « infusion » à partir du terrain ? 

Bibliographie

  • Henri Michaux, La nuit remue, Propriétés, 1935
    Ecouter ici le poème « Intervention ».
  • Pascal Nicolas-Le Strat, Faire recherche en commun, 2024
  • Donna Haraway, Savoirs situés : question de la science dans le féminisme et privilège de la perspective partielle, 1987.