Face à des inégalités entre les genres qui persistent au sein des collectifs, comment favoriser le changement de paradigme ?
Plein Sens fait le constat d’une marche encore à franchir pour atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les organisations. Mathilde Fochesato revient sur les raisons pour lesquelles les entreprises ne peuvent s’affranchir de regarder la question de l’égalité professionnelle et propose des pistes d’actions à l’attention des organisations.
La recherche de l’égalité entre les femmes et les hommes est devenu un fait social.
Elle s’impose peu à peu comme la norme tout en nourrissant – au passage – les conflits générationnels, culturels, de valeurs. Lesquels conflits n’ont que pour fonction d’éclairer la force de cette nouvelle norme. Cette norme s’est également imposée depuis plusieurs décennies dans les entreprises à travers un arsenal d’obligations légales : ne pas discriminer, de ne pas différencier les salaires pour un même travail ou de valeur égale, des obligations de protéger contre les agissements sexistes et le harcèlement sexuel, de négocier (côté partenaires sociaux) des accords sur l’égalité professionnelle, de publier son index, …
« On atteint désormais les couches dures des inégalités professionnelles »
Malgré cela, l’égalité entre les femmes et les hommes dans les entreprises progresse lentement. Car au-delà des index et des accords, des obligations légales et des bonnes intentions, quelle est l’expérience de l’égalité vécue par les salariés en entreprise ? Force est de constater que les hommes et les femmes continuent de reproduire en entreprise des comportements genrés hérités, qui questionnent la possibilité d’une égalité réelle et d’une transformation culturelle.
On peut citer : des métiers et des missions genrés qui correspondent à des stéréotypes qui ont la vie dure (« les femmes sont plus relationnelles » ; « les hommes sont plus prompts à faire respecter la discipline et l’ordre, plus aguerris à la chose économique »). Des tâches assignées à des femmes (souvent moins « nobles ») tandis que d’autres le sont à des hommes (sans réelle justification ou remise en question). Des hommes « là pour manager, par pour faire assistante sociale » ; des femmes qui ne veulent pas manager, car « pas faites pour ça ». Des femmes qui s’occupent des enfants (le plus souvent) et qui doivent « se débrouiller » pour organiser leur temps et leur carrière en conséquence ; des hommes qui ne questionnent pas cette répartition. Des femmes qui dès qu’elles s’agacent sont qualifiées de «trop sensibles» ou
« d’hystériques ». Des non-dits (des tensions) dans les relations au travail liés à des décalages profonds (souvent générationnels) dans la manière de percevoir la question de l’égalité au travail.
Pour faire progresser l’égalité professionnelle, ce sont les « couches dures » des inégalités que l’entreprise doit désormais viser, c’est-à-dire les couches culturelles et structurelles.
Par exemple, c’est venir questionner la répartition des tâches domestiques et parentales en encourageant les hommes à s’investir dans la sphère privée, pas seulement en facilitant, pour les femmes, l’aménagement de leur temps de travail les mercredis. Ou encore, pas seulement en interdisant les réunions après 18 heures (afin de n’en pas exclure les femmes qui ont la charge d’aller chercher leurs enfants après l’école), mais analyser les processus genrés de prises de décision et de répartition du pouvoir, souvent informels, afin de les repenser en profondeur.
En d’autres mots, il s’agit pour les entreprises d’accompagner un changement de paradigme et de le matérialiser dans l’organisation du travail et les relations au travail – en aidant chacun et chacune à repérer et questionner en profondeur ses propres représentations, ses comportements.
Si l’égalité professionnelle a un coup de mou, c’est bien parce qu’il faut désormais s’attaquer aux sujets « qui fâchent »
Aussi, si l’égalité professionnelle a un « coup de mou » c’est bien parce qu’il faut désormais s’attaquer aux sujets « qui fâchent » et que peu d’entreprises s’y risquent. Au-delà des controverses et des clivages que ne manquerait pas de soulever une telle démarche, la tâche peut paraître – trop – ardue tant elle est complexe. Or, l’égalité réelle est justement à cette condition.
Pour les entreprises, faire la preuve
La place et le rôle de l’entreprise dans la société n’ont cessé d’être questionnés ces dernières années et sa responsabilité sociétale est désormais interpellée. Depuis la loi Pacte de 2019, cette responsabilité n’est plus celle des moyens mais bel et bien celle des résultats. L’entreprise entre dans une nouvelle ère, « l’ère de la preuve » de sa contribution effective à la société, y compris sur le sujet de l’égalité professionnelle. Se saisir à bras le corps de cette question est au cœur d’une politique de responsabilité sociale exigeante et exemplaire.
Pour participer à cette égalité réelle et en « faire la preuve », l’entreprise doit profondément changer son modèle d’action. Cela requiert de pouvoir s’appuyer sur une stratégie claire et ambitieuse, qui s’attachera à dire quelles transformations l’entreprise veut obtenir, quels résultats concrets elle vise et comment elle les mesure, au-delà des indicateurs. Un « effet observable » pourrait s’incarner, par exemple, à travers un changement de représentations, chez les hommes et les femmes de l’entreprise, autour de la parentalité. Ou encore à travers une évolution de la réalité des prises de parole des femmes et des hommes de l’entreprise : des femmes qui ne se posent plus de questions avant de prendre la parole en public et qui sont écoutées et entendues au même titre que leurs pairs masculins.
Cette stratégie doit se travailler sur le terrain, au plus près de l’activité. Il s’agit d’encourager une discussion et des actions innovantes socialement de façon à participer à l’évolution des mentalités et aller bien au-delà des obligations légales. C’est parce que l’entreprise aura réellement accompagné la mise en œuvre au plus près du travail quotidien qu’elle pourra faire la preuve de sa contribution et restaurer la confiance nécessaire à l’engagement de ses salariés et de l’ensemble de ses parties prenantes dans son projet.
« Pour participer à cette égalité réelle et en faire la preuve, l’entreprise doit profondément changer son modèle d’action. »
Au-delà des obligations légales, des pistes d’actions concrètes
Comment concrètement agir sur les représentations et construire des organisations du travail plus égalitaires ?
Les éléments de réponse se trouvent à plusieurs endroits de l’organisation, en miroir de ces fameuses «couches dures».
Au-delà des obligations légales (égalité salariale, parité dans les instances représentatives du personnel, mixité au sein des conseils d’administration, etc.), œuvrer à l’égalité professionnelle réelle, c’est aussi intégrer cette dimension au plus haut niveau de l’entreprise, dans les orientations stratégiques. C’est aussi agir sur les règles qui organisent le travail, que l’on pense neutres mais qui créent en réalité des situations différenciées entre les hommes et femmes, en matière de santé, rémunération, carrière. Ou encore, requestionner les relations sociales et professionnelles à l’aune de cette dimension, en travaillant notamment les conflictualités.
Pour agir, Plein Sens propose de s’appuyer sur le travail et l’activité elle-même, selon des modes opératoires qui permettent l’appropriation par tout le corps social des transformations :
- En partant des vécus et expériences au travail des femmes et des hommes, pour produire une analyse fondée sur le croisement des concepts et du terrain et éviter ainsi de tomber dans le piège des catégorisations et des stéréotypes.
- En instruisant le dialogue social et professionnel sur le sujet de l’égalité professionnelle, par l’implication des acteurs à tous les niveaux de l’entreprise, jusqu’à l’unité de travail. Car ce sont du dialogue et du débat que naissent les consensus et donc les pactes.
Mettre en discussion collectivement le sujet de l’égalité professionnelle par le prisme des vécus au travail est primordial pour croiser les regards, les vécus, les perceptions et les approches, pour trouver le commun et ne pas faire scission (ou sécession) et continuer à faire collectif dans une organisation en évolution.
Cet article a également fait l’objet d’une publication sur le site d’information spécialisé actuEL-RH le 10 mai 2022 dans le cadre d’un partenariat.
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