Rencontre avec Jean-Michel Catin, expert ESR
Plein Sens, fort de son expérience longue d’intervention auprès des universités, des grandes écoles et des organismes de recherche en France, revendique une sensibilité forte à ses missions de service public et la dimension sociale de ses transformations institutionnelles. Alors que s’engage une nouvelle mandature, nous avons souhaité interroger un spécialiste du secteur de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche pour parler du rôle de l’Université dans la stratégie d’innovation en France, ses limites et ses atouts. Rencontre avec Jean-Michel Catin, journaliste indépendant, ex directeur de la rédaction chez AEF, spécialiste de l’ESR et auteur du blog universites2024.fr
Quel bilan tirer aujourd’hui du rôle joué par le secteur de l’ESR dans sa contribution à la politique d’innovation en France ?
Je fais le constat que, depuis plusieurs décennies, on voit se succéder des plans sans véritable vision prospective de l’apport de l’université dans les dimensions clés que sont la formation et la recherche et leurs liens à la politique d’’innovation. L’université n’est pas considérée comme le cœur du réacteur d’une politique d’innovation performante, et c’est dommageable pour notre compétitivité.Pour quelles raisons ?
En matière d’innovation, la France a choisi d’investir d’abord massivement dans l’appui aux entreprises avant de le faire dans la recherche. L’université, comme ses étudiants, ne sont pas perçus comme des éléments centraux. Or, la structure capitalistique de la plupart de nos entreprises n’incite pas à la prise de risques. Exception faite de quelques-unes, les entreprises françaises restent peu axées sur la R&D et courent en permanence après les innovations d’usage. Pourtant, l’innovation de rupture part bien de la recherche fondamentale.Quels impacts de cette vision sur l’organisation du secteur public de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ?
« Le développement de l’innovation passe nécessairement par celui d’un vivier de talents »Le développement de l’innovation passe nécessairement par celui d’un vivier de talents. A titre d’exemple, on peut citer la Silicon Valley, d’abord née du melting pot d’étudiants au sein de différentes structures et de champs disciplinaires. En ne positionnant pas l’université au cœur du modèle, on prend le risque de passer à côté de ce tissu de talents et de ne faire reposer le développement de la recherche que sur un nombre restreint d’étudiants. Sur ce sujet en particulier, un des principaux défis des Universités serait de réussir à intégrer et à travailler avec des business school pour appuyer la création de ces entreprises nouvelles et la valorisation de leurs innovations. De nouveau le lien entre innovation et stratégie étudiante est fondamental. Car, cela appelle nécessairement une offre de formation de haut niveau dont toutes les universités n’ont aujourd’hui pas les moyens.
Comment redonner à l’Université une place centrale ?
En redonnant confiance à ses publics ! L’université a de nombreux atouts, au cœur desquels, le contenu de ses enseignements, son niveau d’exigence, et ce malgré son système parfois compliqué vu de l’externe. En réalisant une évaluation sérieuse, elle aura la capacité de parler aux familles, à la tutelle, à ses partenaires. Sur le volet formation notamment, les étudiants doivent non seulement connaitre le nombre de candidats, ce qui témoigne aussi de l’attractivité, mais aussi bien sûr les niveaux d’insertion professionnelle. Certaines ont commencé à le faire.« L’Université à de nombreux atouts. [Elle] doit redonner confiance à ses publics »
Quels leviers selon vous pour aider les universités dans ces nombreux défis ?
De mon point de vue, il y a plusieurs priorités et qui nécessiteraient d’être affichées comme telles. Parmi elles, la sécurisation des financements. Concrètement : la réforme du système des appels à projet, la Ministre l’a d’ores et déjà annoncé, mais aussi, la recherche de dispositifs incitatifs pour investir dans des secteurs spécifiques, comme le recommandent le Conseil d’analyse économique et la Cour des Comptes. On peut citer aussi la nécessaire réhabilitation du « temps long » de la recherche, avec des moyens humains et matériels pérennes. Dans le même registre, une vision prospective de la formation, pour identifier de quoi notre pays a besoin et dans quel secteur. Je mentionnerai également la clarification de l’organisation, pour faciliter les ponts entre la recherche et l’entreprise évoqués au début de cet entretien. Ici, on est davantage dans des logiques humaines que des logiques de subventions.S’ouvre une nouvelle mandature, quelles actions prioritaires pour la nouvelle Ministre, Sylvie Retailleau ?
Ces sujets sont déjà sur la table, en lien avec les transformations à l’œuvre dans le secteur depuis plus de 10 ans. Il s’agira d’accompagner ce qui est en cours de déploiement et de le faciliter, des annonces ont déjà été faites en ce sens. Notamment, renforcer les conditions de la flexibilité pour laisser les Universités définir leur stratégie. La Ministre l’a déjà expérimenté avec succès au titre de son mandat à la présidence de l’Université Paris-Saclay.Publié le
19 juillet 2022
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Photos couv.
Nicolas Guyonnet / Hans Lucas