Réflexions partagées de consultantes-chercheures lors de la première journée de la recherche à Plein Sens
L’actuelle période post-COVID voit le rapport au travail profondément évoluer. En témoignent différents « symptômes » pour les employés (« quiet quitting », reconversions…) comme pour les employeurs (difficultés à recruter, à fidéliser…). Dans ce « rapport de force » qui se transforme au sein d’organisations désormais hybridées (travail entre présence et distance), les managers ont un rôle plus que jamais central à jouer dans le « prendre soin » du travail, des individus et des collectifs qui le réalisent… pour qu’ils se réalisent.
Un rapport au travail en profonde évolution…
« Aujourd’hui, c’est moi, en tant que DRH, qui dois ‘me vendre’ aux candidats pour les recruter : mettre en avant le télétravail proposé, la bonne ambiance dans l’équipe, la qualité du manager… »
Il n’est pas rare d’entendre ces propos par les temps qui courent. En recherche d’attractivité, de compréhension des phénomènes d’absentéisme et de turnover, les organisations publiques comme privées partagent un même constat : il n’est plus possible de manager les individus et les collectifs de la même façon. Pour s’assurer de leur engagement, il devient incontournable de se (pré)occuper de leur travail et de la façon dont il est vécu, des ressources humaines et matérielles pour bien le faire, des difficultés rencontrées, de l’équilibre avec la vie personnelle et des conditions de santé, pour un travail de qualité et soutenable dans le temps.
… dans un contexte de développement du travail hybride
Ces constats prennent une envergure particulière dans un contexte « déspatialisé » (Taskin, 2021), qui induit un éloignement physique entre membres d’une organisation travaillant sur site et/ou à distance… mais qui peut aussi installer des formes de distance au travail, aux collègues, à l’entreprise. Le risque : voir les coopérations affectées, l’engagement et les liens sociaux se diluer, ainsi que le développement d’un rapport au travail plus « transactionnel », où l’on perdrait de vue ce qui fonde une organisation, à savoir, pour l’auteur, « un collectif de travail qui est plus qu’un réseau d’individus et la somme de leurs contributions ».
Dès lors, comment manager en contexte hybride ?
Ces évolutions ne sont pas sans conséquences pour les managers. Alors qu’ils agissent déjà, de par leur fonction, au cœur de nombreuses logiques parfois contradictoires, les nouvelles formes d’organisation de travail hybride renforcent certaines tensions inhérentes à leur rôle, voire en font émerger de nouvelles : comment rester attentif à chacun en situation distanciée, de façon individualisée (connaissance de l’état de santé et d’engagement, accompagnement à la montée en compétences, partage d’information, aide à la régulation au quotidien, etc.)… tout en prenant soin d’un collectif désormais dispersé (animation d’échanges formels et informels entre présence et distance…) ?
Organiser le travail, le piloter et animer les équipes en contexte hybride
Dans le cadre d’une intervention, plusieurs managers se sont prêtés à l’exercice de partager des situations de travail vécues pour poser des repères au sein d’un guide adressé à leurs pairs. Les récits qui en sont ici extraits témoignent des tensions renouvelées ou nouvelles qui sont les leurs depuis le développement du télétravail :
Organiser le travail hybride : il s’agit là non seulement de poser un cadre d’organisation structurelle (particulièrement portée par l’accord télétravail… qui peut contraindre les nécessités de service), mais aussi de réguler au quotidien des demandes spontanées de façon équitable.
« J’ai régulièrement des demandes de télétravail ponctuelles pour faciliter l’articulation avec la vie personnelle (garde d’enfants, RDV, maladie bénigne…) qui complexifient l’organisation »
Piloter le travail hybride : dans un contexte d’invisibilisation du travail, les outils et indicateurs peuvent prendre une place de plus en plus importante pour les managers, qui ont besoin de suivre, réguler et planifier l’avancement de l’activité. Les indicateurs permettent par exemple de « voir » depuis le siège l’avancement de l’activité du jour d’un conseiller en agence. Pour autant, ils constatent, y compris pour eux-mêmes, que ces indicateurs ne représentent pas la réalité du travail mis en œuvre… :
« Je me suis rendue compte qu’une activité n’était pas suivie depuis un moment. Le travail hybride invisibilise certaines activités et si les outils de pilotage ne sont pas utilisés, c’est possible de passer à côté.»
« Les indicateurs de suivi sont très importants à distance mais ils ne représentent qu’une vision partielle de l’activité. C’est frustrant de voir certains de ses indicateurs dans le rouge alors qu’on a fait le maximum mais que ça, ça n’apparait pas dans l’outil. »
Animer les équipes en contexte hybride : développer les compétences, la santé, les individus et les collectifs en contexte hybride suppose pour les managers de proximité à la fois d’intégrer des nouveaux arrivants… au sein d’un collectif présent ou non, de soutenir le développement continu des compétences avec notamment la maîtrise des outils de travail à distance… susceptibles de transformer le service rendu lui-même, et d’être attentif aux individus autant qu’au collectif :
« Nous avons accueilli un nouveau conseiller fin juin en lui dédiant un tuteur pour son arrivée et en lui demandant d’être présent sur site les premiers mois… mais son tuteur est en télétravail deux jours par semaine et part en vacances en juillet, ce qui laisse notre nouvelle recrue souvent seule… »
« Les conseillers de mon agence ne sont pas tous à l’aise avec les entretiens ‘demandeur d’emploi’ (DE) en visio et s’interrogent d’ailleurs sur les bonnes modalités d’accompagnement selon leur profil (DE de longue durée, autonomes, familiers ou non des outils informatiques…) »
« On s’est rendu compte que les choses s’étaient distendues quand une collègue est tombée malade et qu’on ne l’a pas réalisé dans les 48h… »
L’avis des consultantes-chercheures : mettre à jour et dépasser les contradictions du management en contexte hybride
L’évolution du rapport au travail et le développement du travail hybride redéfinissent les équilibres entre contrôle et confiance au sein des organisations, positionnant parfois les managers dans des formes d’injonctions paradoxales : alors que ces organisations restent souvent structurées de façon descendante, avec des systèmes de suivi par indicateurs renforcés du fait de l’invisibilisation du travail, elles tendent en même temps à instaurer des principes participatifs reposant sur la confiance, l’autonomie et la responsabilité. En contexte hybride, un cadre général est posé pour le télétravail, souvent par accord, et il est attendu du manager qu’il l’opérationnalise avec son équipe selon une démarche de « performance par la confiance », en articulant ce cadre donné avec des exigences parfois contradictoires, individuelles et collectives, personnelles et professionnelles, pour un service rendu de qualité. Dès lors, une voie d’intervention comme de recherche vise à accompagner managers et organisations dans l’identification de ces contradictions, afin d’élaborer collectivement des façons de les dépasser.