Harcèlement au travail :

suite de la série de questions / réponses pour mieux agir

Comment gérer la période de l’enquête harcèlement pour le ou la signalant(e) comme pour la personne mise en cause ? Retrouvez les éléments de réponse proposés par Sandrine Losi, avocate associée chez Capstan Avocats et Eric Molière, associé du cabinet Plein Sens, pour gérer cette période difficile pour toutes les personnes impliquées, y compris l’entourage professionnel.

Billet n° 3

Qui doit réaliser une enquête harcèlement en entreprise ?

Disons-le d’emblée, les pratiques sont très différentes d’une entreprise à l’autre, et souvent plusieurs modalités d’enquête cohabitent dans une même entreprise.

Dans cette grande diversité de pratiques, on observe trois tendances de fond :  l’instruction des enquêtes par la direction, l’enquête paritaire, et le recours à des prestataires extérieurs.

Les modalités d’enquête harcèlement réalisé en interne dépendent beaucoup des dispositifs de signalement. Pour aller vite, le plus souvent, le signalement peut être fait sur une plateforme d’alerte visant toute infraction -crime ou délit – au sens de la loi Sapin 2, modifiée par la loi Waserman, ou une plateforme dédiée et atterrir, soit du côté de la direction éthique ou juridique, soit du côté des ressources humaines, avec ensuite des modalités de traitement des enquêtes qui diffèrent sensiblement par les méthodes utilisées. Lorsque l’enquête est pilotée ou conduite par ces services, on trouve le plus souvent un binôme d’enquêteurs plus ou moins expert (même si le nombre croissant des signalements conduit à une professionnalisation de la fonction en interne), pour qui c’est une activité principale ou accessoire, selon la taille de l’entreprise. Selon les cas, le service qui porte l’enquête est décisionnaire quant aux actions à entreprendre à la suite de l’enquête en accord avec le niveau de management concerné. Assez souvent, une commission est constituée pour délibérer sur la base des conclusions du rapport d’enquête. Parfois, l’enquête et ses conclusions sont simplement livrées à la gouvernance locale qui, sur la base des conclusions, agit en autorité.

Des entreprises et des représentants du personnel font aussi le choix d’enquête paritaire.

Dans ce cas, et cela fait généralement l’objet d’un accord, du traitement des signalements jusqu’à la commission délibérante, les décisions sont prises conjointement. Les enquêtes sont généralement conduites avec un représentant du personnel et un membre des RH. Lorsque le signalement concerne des faits pouvant caractériser un harcèlement sexuel, les référents nommés dans l’entreprise (direction/CSE) organisent l’enquête. Ce type de dispositif demande une grande maturité dans le dialogue social sur la question des conditions de travail et généralement des formations et supervisions communes. Lorsque ces dispositifs sont mis en œuvre, sans ces préalables, ils sont souvent un échec.

Enfin, les entreprises et/ou représentants du personnel ont parfois recours à des prestataires extérieurs, notamment lorsque des salariés protégés ou des membres de la direction sont mis en cause. Dans ce cas, ce sont le plus souvent des cabinets experts en conditions de travail ou des avocats qui vont conduire ces enquêtes. Aucun référentiel commun n’existe à ce jour en termes de méthode. Aussi, selon la formation et l’expérience des enquêteurs, l’angle méthodologique choisi pourra différer sensiblement.

Il est à noter que vu le nombre croissant d’enquêtes internes confiées à des avocats, un Vademecum de l’avocat chargé d’une enquête interne est annexé au Règlement Intérieur du Barreau de Paris et le Conseil National des Barreaux a publié en 2020 un guide formulant des recommandations sur la pratique des enquêtes internes par l’avocat.

Y a-t-il une bonne façon de faire ?

Pour déterminer « qui » doit conduire l’enquête, il nous semble indispensable de garder à l’esprit les quelques grands principes qui doivent guider l’enquête : l’impartialité, l’objectivité, l’expertise et l’indépendance.

Ainsi celles et ceux qui ont à conduire une enquête harcèlement doivent impérativement se positionner éthiquement, que l’enquête soit menée en interne ou que l’entreprise ait recours à des prestataires extérieurs. Autrement dit, les entreprises doivent se doter en la matière d’un code éthique, clair et transparent. À défaut, les salariés s’estimant harcelés pourraient être tentés de porter directement leur signalement en externe auprès d’autorités compétentes (DGT, Défenseur des droits, …) comme le permet désormais la loi Waserman, n’ayant aucune confiance dans le dispositif de traitement des signalements mis en place dans l’entreprise, voire n’ayant aucune connaissance de celui.

En synthèse, les questions que doit se poser un enquêteur tel qu’il soit sont simples :

Suis-je capable de mener une enquête en toute impartialité et objectivité, sans a priori, sans parti pris et en garantissant la mise en œuvre d’un processus contradictoire ?

Ai-je l’expertise pour savoir recueillir les faits, les distinguer des ressentis, les avérer et les qualifier ? Analyser le cas échéant, la situation relationnelle en présence dans sa complexité ? Autrement dit, ai-je la formation et l’expérience ?

Suis-je indépendant de toute forme de pouvoir exercé par un groupe ou une personne, lequel viendrait possiblement orienter ou influencer mes conclusions ?

Si je suis capable d’offrir des garanties d’impartialité, d’objectivité, d’expertise et d’indépendance alors peu importe qui est l’enquêteur.

Si ces conditions ne sont pas réunies, alors les conclusions de l’enquête seront toujours contestables et bien souvent contestées.

A relire également : 

Le billet n°1 : A partir de quand doit-on instruire une enquête pour harcèlement ? 

Le billet n°2 : Quelles mesures mettre en place pendant l’enquête pour protéger les personnes impliquées ? 

PARTAGER

Publié le
18 septembre 2023
PARTAGER