Harcèlement au travail :

une série de questions / réponses pour mieux agir

Pour aider les entreprises face aux situations et aux signalements de harcèlement, Sandrine Losi, avocate associée chez Capstan Avocats et Eric Molière, sociologue associé chez Plein Sens lancent une série de contenus autour des grandes étapes et questions clés du processus de prise en charge et de résolution.

Billet n° 2

Eléments de contexte après l’entretien que vous avez mené avec le-la signalant-e de réaliser une enquête

Si dans la majeure partie des cas, le ou la signalant(e) est en arrêt maladie à la suite de son signalement, ce n’est pas toujours le cas. Comment gérer la cohabitation des protagonistes sur le même lieu de travail, sont amenés à travailler ensemble, quand l’un(e) est sous la subordination hiérarchique de l’autre ?

La première obligation est de placer le ou la collaborateur(trice) qui signale un harcèlement au travail en protection face à des agissements mêmes supposés et cela avant même les conclusions de l’enquête. L’employeur peut mettre en œuvre des mesures provisoires telles que permettre au signalant d’effectuer temporairement son travail à domicile ou à distance, loin physiquement du ou de la supposé(e) harcelleur(leuse), maintenir la rémunération de l’un des deux protagonistes tout en lui demandant de rester à domicile sans travailler ou encore de l’affecter le temps de l’enquête dans un autre service.

Dans le Guide sur le harcèlement sexuel et les agissements sexistes au travail, le Ministère du Travail conseille d’appliquer ces mesures provisoires de préférence au profit de la victime présumée. Tout est ici question de perception de la situation ; laquelle peut être extrêmement mal vécue également par le ou la mise en cause pendant la période de l’enquête alors qu’il vous faut préserver l’avenir sans savoir ce que vous allez découvrir à l’occasion de l’enquête. Ce changement provisoire justifié par l’alerte donnée et le temps nécessaire à l’enquête devra être expliqué pour être accepté. L’accord de celui ou celle qui changera d’affectation ne sera pas forcément nécessaire (sauf s’il ou elle est mandaté(e) ) dès lors que le changement n’emporte pas de modification durable de son contrat de travail. Il est néanmoins préférable de l’obtenir.

L’employeur doit encore demander aux protagonistes de cesser de communiquer entre eux pendant la durée de l’enquête pour éviter toute aggravation de la situation.

L’employeur peut également décider d’engager d’emblée une procédure de licenciement avec mise à pied conservatoire avec ou sans maintien de la rémunération. Il est important de rappeler que l’enquête a pour objectif d’éclairer la situation (avant de la qualifier) en respectant le principe du contradictoire (nous y reviendrons dans un prochain billet).

Cette mesure implique que les faits signalés sont suffisamment graves et que vous disposez en amont de l’enquête de premiers éléments probants.

Il arrive également qu’une personne fasse un signalement alors qu’elle fait l’objet d’une procédure de licenciement (par exemple, elle explique lors de l’entretien préalable que les griefs reprochés sont la conséquence des brimades et humiliations régulières qu’elle subit, d’ordres et de contre-ordres qui lui sont donnés tout au long de la semaine, etc.). Dans ce cas, et compte-tenu du fait que le ou la signalant(e) est toujours salarié(e) de l’entreprise, vous êtes tenu de déclencher une enquête en vous assurant de la plus grande neutralité dans sa réalisation. Suivant les liens pouvant exister entre le motif vous ayant conduit à engager la procédure de licenciement et les faits dont vous prenez connaissance en cours de procédure (cf. l’exemple), l’enquête devra être menée avec une particulière célérité afin de décider des suites à donner à la procédure de licenciement engagée tout en respectant les délais de prescription inhérents à ladite procédure si celle-ci est fondée sur des faits fautifs.  

Il arrive encore que la personne mise en cause lors d’un signalement fasse déjà l’objet d’une procédure de licenciement. De nouveau, cette situation ne décharge pas des obligations de conduire une enquête. Cependant si un contentieux est en cours avec un(e) mis(e) en cause, ce ou cette dernier(ère) ne sera sans doute pas disposé(e) à s’exprimer dans le cadre d’une enquête diligentée par son employeur (quand bien même l’enquête serait conduite par un cabinet extérieur). Dans ce cas, et même si le contradictoire n’est pas possible avec le ou la principal(e) mis(e) en cause, l’enquête doit être conduite à son terme en établissant un périmètre d’auditions qui démontre la prise en considération de toutes les parties.

La maîtrise méthodologique et déontologique de l’exercice d’enquête dont le cadre permet de rassurer tout du long et de protéger l’ensemble des personnes impliquées est une préoccupation essentielle de l’employeur dans la période. Les conflits de loyauté peuvent être nombreux, l’incompréhension, la peur, les jugements à l’emporte-pièce, les tentatives d’instrumentalisation, … Ce cadre offrira un repère à toutes les parties dans ce qui s’avère souvent être une épreuve. 

PARTAGER

Publié le
24 avril 2023
PARTAGER