Table-ronde sur les conflictualités au travail

A l'occasion du lancement de l'Ecole des conflictualités au travail, Plein Sens a organisé une table-ronde, en compagnie de Sandrine Losi, avocate associée chez Capstan Avocats, Pascal Ughetto, Professeur de sociologie à l'Université Gustave Eiffel et Eric Molière, associé au sein de Plein Sens.

Les organisations sont de plus en plus confrontées à des situations de conflits intenses, affectant le fonctionnement quotidien aussi bien que la santé des personnes. Cette conflictualité met fréquemment les acteurs en échec, faute de clefs de compréhension et d’outils d’intervention. Plein Sens lance donc une école ouverte pour mieux comprendre l’émergence de ces situations de crise et outiller la résolution des conflits en entreprise. Ce Diplôme Universitaire sera sous la responsabilité de M. Pascal Ughetto, Professeur des Universités en sociologie et co-animé par M. Éric Molière, Docteur en sociologie et Associé au sein du cabinet Plein Sens.

Cet article vise à revenir sur les échanges de la table-ronde organisée jeudi 4 juillet 2024 et ayant pour thème : « Comment faire face aux nouvelles formes de conflictualités au travail ? ».

 

Un conflit est la conséquence d’un désaccord qui a dégénéré faute de trouver des espaces de discussion. 

 

Dans le contexte des relations avec la clientèle, des dispositifs spécifiques et des formations à la gestion des conflits sont souvent mis en place pour gérer ces situations. Le terme « conflictualité » est à privilégier. Il se caractérise par le sentiment d’un manque d’instruments ou de modes de régulation immédiats, rendant la gestion du conflit complexe et difficile à délimiter clairement. 

 

 

L’évolution des conflictualités dans le temps :

 

Les évolutions des conflictualités au cours des 30 dernières années montrent une transformation notable, avec un processus d’individualisation des conflits. En effet, autrefois, les conflits étaient principalement collectifs, prenant la forme de grèves et de blocages lors des réorganisations, avec l’intervention des comités d’entreprise et du CHSCT. L’incapacité à résoudre ces conflits en interne nécessitait souvent l’arbitrage d’un juge. Les entreprises étaient accompagnées dans la gestion de ces conflits collectifs. À cette époque, les conflits individuels étaient moins fréquents et moins visibles dans le paysage conflictuel. 

  

Les réformes ont profondément modifié le dialogue social, avec une volonté claire de le simplifier. De nombreuses questions sont désormais traitées par la négociation collective, ce qui a permis une meilleure gestion des conflits collectifs au sein des entreprises. Cependant, aujourd’hui, le sentiment prédominant est que le conflit est omniprésent, concernant tout et rien. Chaque problème est signalé, et les entreprises, autrefois déconcertées par ces problèmes individuels, ont dû les aborder de front, exposant ainsi des enjeux auparavant ignorés. Cette situation a conduit à une sursollicitation des entreprises par des conflictualités individuelles. 



Comment expliquer ce basculement vers une individualisation des conflictualités au travail ?
 

Aujourd’hui, les individus entrent en entreprise avec leur identité propre, soutenue par des politiques RH valorisant la diversité individuelle (la politique du “venez comme vous êtes »). Dans une société où l’expression personnelle est largement acceptée, les entreprises ne jouent plus le même rôle socialisateur qu’auparavant, où des normes strictes étaient imposées. 

 

La tolérance à une forme d’autorité a évolué, et l’expression d’une autorité rigide est souvent perçue comme illégitime. De plus, les comportements autrefois tolérés, comme les propos sexistes, sont désormais inacceptables. Cette évolution rapide crée des décalages, certaines personnes n’adaptant pas leur comportement à la même vitesse, ce qui engendre des incompréhensions, notamment sur des sujets sensibles comme les blagues déplacées, souvent au cœur des affaires de harcèlement. Les processus d’individuation se sont intensifiés, affaiblissant le système normatif des entreprises par rapport à ce qu’il était autrefois.  

 

Par ailleurs, la loi impose aux entreprises une obligation de santé et sécurité, les obligeant à prouver qu’elles ont pris des mesures pour éviter les souffrances au travail. Les problèmes de recrutement ont poussé les entreprises à évoluer. Les dirigeants ont compris l’importance de permettre aux salariés de signaler des problèmes. Ce système, bien connu et sur lequel un travail a été effectué, a été renforcé par la loi Sapin, qui formalise ces obligations et droits des salariés (avec une protection accrue pour les lanceurs d’alerte). 

 

Enfin, un phénomène contradictoire se dessine : bien que les conflits individuels en entreprise soient de plus en plus fréquents, le nombre de dossiers portés devant le tribunal des Prud’hommes diminue. Cela s’explique par l’essor des dispositifs de ruptures conventionnelles, qui permettent de résoudre ces litiges sans recourir au juge.

 
 
Comment fonctionnera cette École des conflictualités au travail ?
 

L’école des conflictualités au travail est conçue comme une école ouverte qui s’articule selon plusieurs axes : 

 
  1. Un diplôme universitaire qui formera des professionnels à la gestion des conflictualités au travail.
  2. Un baromètre annuel pour mesurer l’évolution du niveau de conflictualité en entreprise.
  3. Une offre de formation qui vise à donner des outils aux entreprises pour mieux appréhender ces problématiques.
  4. Des groupes de travail et de discussion qui permettront de mieux comprendre peut-être par secteur ce qui fait conflit.

A qui s’adresse ce Diplôme Universitaire ? 

La création de ce Diplôme Universitaire (DU) en collaboration avec l’Université Gustave Eiffel vise à former (en formation continue) tous les professionnels qui souhaiteraient être outillés pour mieux comprendre, décrypter et agir vis-à-vis de ces situations de crise. Le Diplôme Universitaire n’a pas vocation à définir un nouveau métier au sein de l’entreprise ou encore de labéliser des spécialistes / experts des conflictualités au travail. L’ambition est plutôt de développer une professionnalité soit un ensemble de compétences, de connaissances, d’attitudes et de comportements professionnels au sein de l’entreprise à tous ces niveaux. On peut, à ce titre, considérer qu’une entreprise ou encore des organisations syndicales souhaiteront en responsabilité sociale se doter d’une professionnalité étendue à l’ensemble de ses cadres, de ses salariés, de ses représentants. 

PARTAGER

Publié le
10 juillet 2024
PARTAGER