Un enjeu stratégique au cœur de la transformation du travail
Le 16 octobre dernier, alors que la loi sur l’emploi des seniors venait d’êêtre votée, Plein Sens a réuni de nombreuses parties prenantes pour un petit-déjeuner de présentation de son livre blanc “Les salariés expérimentés, repenser le contrat social”. Ce temps d’échange dont voici les moments forts a permis de partager les constats, les leviers d’action et les pistes de transformation identifiés par le cabinet à travers l’étude de nombreux cas d’entreprise.
En ouverture, Aurélie Ghemouri Krief, associée, a rappelé que cette thématique dépassait largement le seul débat sur l’âge de départ à la retraite. Elle engage, selon elle, une réflexion de fond sur la soutenabilité du travail et sur la manière dont les entreprises peuvent renouveler leur contrat social. « Il s’agit de permettre à chacun de travailler durablement, en santé et avec reconnaissance, à tous les âges de la vie professionnelle », a-t-elle souligné.
Changer de regard sur les salariés expérimentés
Dans cette perspective, le livre blanc invite à un changement de perspective fondamental : considérer les salariés expérimentés non plus comme un coût ou une contrainte, mais comme un levier de performance, de cohésion et d’innovation. Alors que la France fait face à un vieillissement rapide de sa population active, le taux d’emploi des 60-64 ans reste parmi les plus faibles d’Europe. Ce retard ne s’explique pas uniquement par des facteurs économiques ; il traduit aussi un retard culturel, lié à des représentations encore trop marquées par l’âge et la fin d’activité.
Olivier Mériaux, directeur des études de Plein Sens, a rappelé que cette approche défensive du vieillissement au travail atteint ses limites. Longtemps pensée à travers le prisme des réformes des retraites, elle a occulté la question de l’organisation du travail dans la durée. “Travailler plus longtemps, a-t-il observé, ce n’est pas prolonger les mêmes conditions : c’est repenser les manières de travailler, les rythmes et les équilibres collectifs. “Cette transition culturelle appelle à considérer l’emploi des salariés expérimentés comme un enjeu stratégique de transformation, au même titre que la décarbonation ou la digitalisation.
Les représentations et fonctionnements enracinés depuis des décennies ne se transforment pas du jour au lendemain. Et ce, d’autant plus lorsque, dans les entreprises, les politiques RH se contentent de cibler les comportements individuels, sans interroger les mécanismes collectifs. L’action réellement transformatrice passe non seulement par la remise en question de ces mécanismes, mais aussi par l’invention de nouvelles manières d’engager la discussion. Une vision innovante doit émerger, laissant une place prépondérante à la mobilisation des savoirs issus de l’expérience.
Sortir d’une approche centrée sur l’âge
Pour que cette mutation soit effective, les entreprises doivent sortir d’une logique de seuils.
Nils Veaux, associé de Plein Sens, a souligné combien la culture française de l’âge façonne encore les représentations collectives : « On continue à raisonner en termes de dates de départ, là où il faudrait penser en termes de trajectoires professionnelles. » Cette logique du compte à rebours conduit souvent à figer les parcours et à freiner l’innovation organisationnelle.
Dans un contexte où les dispositifs de préretraite disparaissent et où la retraite progressive devient opposable, l’enjeu est désormais de repenser collectivement les conditions du travail dans la durée.
Cela implique de passer à une gestion individuelle des fins de carrière en intégrant une approche collective de la soutenabilité du travail, mobilisant managers, directions et partenaires sociaux autour d’un objectif commun : maintenir l’engagement et la santé de tous les âges.
Des leviers d’action concrets pour les entreprises
Le livre blanc identifie quatre leviers concrets pour accompagner cette évolution et faire de la séniorité un facteur de transformation en s’appuyant sur des cas concrets expérimentés dans des organisations :
- Négocier autrement.
Intégrer la réalité du travail dans les négociations sociales, en distinguant clairement les temps de diagnostic, de pédagogie et de décision. Cette méthode favorise des accords ancrés dans le réel et porteurs d’efficacité. - Écouter les salariés.
Les attentes des salariés expérimentés sont diverses : équilibre de vie, transmission, mobilité, sens du travail. Les dispositifs uniformes atteignent vite leurs limites. Une approche fondée sur l’écoute et la différenciation permet d’ajuster les réponses et d’en renforcer la légitimité. - Raisonner en parcours plutôt qu’en âge.
L’accompagnement des transitions – mobilité, reconversion, adaptation de poste, retraite progressive – doit s’inscrire dans le temps long. Penser les carrières comme des parcours évolutifs plutôt que des trajectoires ascendantes crée les conditions d’une fidélisation durable. - L’expérimentation d’organisations de travail misant sur l’autonomie et la responsabilité des collectifs pour favoriser la durabilité en emploi.
Anticiper les départs, identifier les compétences critiques, planifier les évolutions d’organisation : la projection démographique devient un impératif stratégique. Elle permet de sécuriser les savoirs et d’éviter les ruptures opérationnelles. Ces leviers traduisent un principe clé : la séniorité ne se gère pas, elle s’organise.
PME et commerce : combler les écarts de capacité d’action
Les échanges ont également mis en évidence une inégalité structurelle entre les grandes entreprises et les plus petites. Les grandes organisations commencent à intégrer la gestion des âges dans leur stratégie RH, tandis que les PME et le commerce de proximité restent souvent démunis. Sans service RH dédié ni ingénierie sociale, elles manquent de ressources pour aborder la question. Pour Olivier Mériaux, cette situation appelle un renforcement des appuis extérieurs : « On crée un écart croissant entre les entreprises capables d’agir et celles qui n’en ont pas les moyens. »
Les branches professionnelles, les acteurs de la prévoyance et les réseaux territoriaux pourraient jouer un rôle déterminant dans la construction de solidarités nouvelles, à la fois économiques et sociales.
Réinventer la valeur de l’expérience
Réhabiliter le rôle des salariés expérimentés suppose aussi de faire évoluer les représentations internes. La transmission des savoirs est essentielle, mais elle ne saurait suffire : de nombreux collaborateurs souhaitent poursuivre leur contribution autrement, en participant à des projets d’innovation, de formation ou de transformation. Les entreprises doivent donc proposer des trajectoires diversifiées, intégrant la mobilité, la formation continue et de nouveaux modes de reconnaissance. Nils Veaux résume ainsi cette approche: « Réinventer la valeur de l’expérience, c’est sortir d’une logique de réparation ou de bienveillance pour aller vers une logique d’utilité. Les salariés expérimentés ne demandent pas d’être ménagés, mais d’être pleinement mobilisés dans des missions qui ont du sens. »
Cette évolution conduit à interroger le modèle classique de progression linéaire, au profit de parcours plus souples et réversibles, adaptés aux différentes étapes de la vie professionnelle. Elle repose, in fine, sur un nouveau pacte de confiance entre employeurs et collaborateurs, fondé sur la réciprocité et la soutenabilité.
L’expérience, une ressource d’avenir
Les transformations technologiques, notamment l’intelligence artificielle, renforcent la valeur de l’expérience.
En automatisant les tâches routinières, elles redonnent toute leur importance aux savoirs tacites, à la capacité d’analyse et au discernement, souvent portés par les salariés expérimentés.
Plein Sens en fait une conviction structurante : ses équipes mêlent jeunes consultants et profils confirmés dans une logique de compagnonnage et de transmission mutuelle.
Ce modèle, fondé sur l’équilibre intergénérationnel, illustre concrètement la complémentarité entre expérience et innovation.
Vers un contrat social renouvelé
En clôture, Aurélie Ghemouri Krief a rappelé que ce travail collectif vise avant tout à faire évoluer les représentations et les pratiques. Le livre blanc Les salariés expérimentés, urepenser le contrat social n’est pas un rapport supplémentaire : il constitue un outil de dialogue et d’action pour les entreprises, les branches et les acteurs du changement.
. « Le défi n’est pas de faire durer le travail, mais de lui redonner une promesse : celle d’un engagement soutenable, utile et partagé, à chaque étape de la vie professionnelle » a conclu Nils Veaux.
Ce changement de regard, à la fois culturel et organisationnel, ouvre la voie à un nouveau contrat social : un modèle de travail fondé sur la confiance, la reconnaissance et la responsabilité partagée, au service d’entreprises durables et humaines.