Articulation du dialogue social et de la conduite des processus de transformation : comment s’en sortir ?

Le dialogue social, pilier du lien collectif, se trouve mis à l’épreuve des transformations continues. À l’occasion des 80 ans des CE, célébrés par le CEZAM pour une édition spéciale de l’Observatoire, Karen Autret, directrice conseil a pu intervenir lors des “Regards croisés sur l’évolution du Dialogue social”. L’occasion de s’interroger sur un système globalement fragilisé et des pistes pour (continuer à) agir, c’est-à-dire, mobiliser le dialogue social comme levier des projets et réussir les transitions qu’ils soutiennent.

Des processus de transformation affectés par la fragilisation du système « dialogue social »

Les acteurs du dialogue social – dirigeants, représentants, directions RH – expriment aujourd’hui une même difficulté : celle de « dialoguer » dans un environnement où les transformations se succèdent sans relâche.

Le fonctionnement institutionnalisé du CSE, la densification des agendas sociaux et la multiplication des consultations créent un effet d’embolie. Conçu pour des projets ponctuels, le cadre actuel peine à suivre le rythme des changements continus. Résultat : un dialogue saturé, réactif plutôt que stratégique, où les interpellations se multiplient, les sujets s’entremêlent, et la discussion sur les conditions de travail ou les risques psychosociaux recule derrière la gestion des urgences. Il y a ainsi un décalage entre un système d’information-consultation fait pour des projets ponctuels et la transformation continue à l’oeuvre dans les entreprises. Tel un cercle vicieux les consultations qui augmentent, voire se superposent, participent, ainsi , à emboliser un système déjà sous tension.

Ce déséquilibre n’est pas qu’organisationnel : il affecte les personnes. Les enquêtes Syndex, ANDRH et les interventions de Plein Sens sur le terrain confirment une fatigue des élus et des directions RH, confrontés à un sentiment de « course contre la montre », des « signaux de fragilité qui se multiplient » et des acteurs au bord de la rupture. Le nombre de personnes dans l’organisation à disposer d’une vue d’ensemble sur les processus sociaux et donc d’agir sur les calendriers est aujourd’hui souvent limité. Le risque est grand de voir la conduite du dialogue social se détacher des réalités opérationnelles, affaiblissant sa portée et sa crédibilité.

 

Des réalités du travail difficiles à prendre en compte  dans les faits, bien qu’objet et préoccupation prioritaire des parties dans l’accompagnement des transformations

Dans les projets de transformation, la tension est particulièrement visible.
Les directions peinent à anticiper les impacts croisés des changements sur les conditions de travail ; les représentants, souvent éloignés des terrains du fait de la centralisation des CSE, manquent d’informations de première main. 

L’architecture post-Ordonnances Travail de 2017 – avec la suppression des délégués du personnel et la fusion des instances – a accentué la distance entre représentants et représentés. Dans un contexte de transformation continue, cette distance nourrit incompréhensions, défiance et perte de sens du débat collectif. Cette dégradation réelle ou perçue de la qualité du dialogue social s’exprime souvent par, à titre d’exemple, le regret de voir s’inviter des sujets non traités « dans le courant », des interpellations sur des situations individuelles et des retours multiples sur des points déjà clos dans des processus spécifiques. Des difficultés qui  vont dès lors, venir freiner et/ou dévier le déroulement des ordres du jour déjà denses, diminuer la capacité collective à mettre en discussion les sujets conditions de travail et évaluation des RPS, contraindre les opportunités de off, ou encore, générer des tensions dans les relations (retranscrites au PV et mobilisées dans la communication sociale).  Le sujet des conditions de travail et des RPS, pourtant transversal, devient difficile à aborder : faute d’espaces adaptés, il se déplace vers les contentieux ou s’exprime sous forme de tensions interpersonnelles.

Repenser le dialogue social comme levier de transformation

Pourtant, ces constats n’appellent pas au fatalisme. Ils ouvrent au contraire un champ d’action pour redonner souffle et utilité au dialogue social. Plusieurs pistes s’esquissent :

  • Mettre à l’agenda la question du dialogue social lui-même : redéfinir les objets, les temporalités et les formats de discussion sur les transformations, afin d’en faire une compétence collective partagée.
  • Réexaminer le fonctionnement des instances lors du renouvellement des CSE : clarifier les rôles, fluidifier les circuits d’information et renforcer les moyens des commissions Santé, Sécurité et Conditions de Travail.
  • Valoriser les parcours des élus et représentants, en accompagnant leurs transitions professionnelles et en soutenant la reconnaissance de leurs compétences acquises.
  • Développer des outils partagés d’analyse des impacts sur le travail, pour objectiver les débats et construire des points d’appui communs entre directions et représentants.
  • Favoriser les approches pluri-métiers RH/opérationnels dans la préparation des projets, pour donner au dialogue social un ancrage concret et une fonction anticipatrice.

Réinvestir le dialogue social, c’est accepter d’en faire un espace d’ajustement permanent, où l’on pense autant la transformation que les conditions de sa bonne mise en œuvre.
C’est aussi reconnaître sa valeur stratégique : un bon dialogue social n’est pas un supplément de gouvernance, mais un facteur de résilience organisationnelle.
L’enjeu n’est donc pas seulement de préserver le système, mais de le refonder en le reconnectant au réel du travail, en y intégrant la voix des salariés comme source d’intelligence collective et en l’alignant avec la stratégie de transformation.